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qui n’a pas moins de 4m,00 d’ébrasement. La plate-bande qui la couvre est appareillée de dix claveaux, posés avec grand soin, lesquels, serrés par les courtines qui ont près de 4m,00 d’épaisseur, se sont maintenus horizontaux sans le secours d’aucune armature de fer. Dans la vue perspective, nous avons supposé le comble enlevé en A, afin de faire voir la construction de la lucarne du côté de l’intérieur. Ces lucarnes (voy. la coupe) donnaient sur le large chemin de ronde crénelé extérieur, de sorte qu’au besoin les gens postés sur ce chemin de ronde pouvaient parler aux personnes placées dans la salle. Les défenseurs étaient à couvert sous un petit comble posé sur le crénelage et sur des piles isolées A. La lumière du jour pénétrait donc sans obstacle dans la salle par les lucarnes, et cette construction est à une si grande échelle que, de la salle en B, on ne pouvait voir le sommet du comble du chemin de ronde, ainsi que le démontre la ligne ponctuée BC[1]. De la charpente, il ne reste plus trace, et on ne trouve sur place, aujourd’hui, de cette belle construction, que les fenêtres et la partie inférieure des lucarnes ; ce qui suffit, du reste, pour donner une idée de la grandeur des dispositions adoptées. Dans la salle des Preuses, dépendant du même château, nous voyons encore des fenêtres dont les ébrasements sont voûtés, ainsi que l’indique la fig. 140, afin de porter une charge considérable de maçonnerie. Les sommiers des arcs doubles en décharge s’avancent jusqu’à la rencontre de l’ébrasement avec les pieds-droits A (voy. le plan) de la fenêtre, afin d’éviter des coupes biaises dans les claveaux dont les intrados sont ainsi parallèles entre eux. L’arc supérieur seul reparaît à l’extérieur et décharge complétement le linteau.

Mais il va sans dire que les constructeurs n’employaient cette puissance de moyens que dans des bâtiments très-considérables et qui devaient résister moins à l’effort du temps qu’à la destruction combinée des hommes. Il semble même que, dans les intérieurs des châteaux, là où l’on ne pouvait craindre l’attaque, les architectes voulussent distraire les yeux des habitants par des constructions très-élégantes et légères. On sait que Charles V avait fait faire dans le Louvre, à Paris, un escalier et des galeries qui passaient pour des chefs-d’œuvre de l’art de bâtir, et qui fixèrent l’admiration de tous les connaisseurs jusqu’au moment où ces précieux bâtiments furent détruits. Les escaliers particulièrement, qui présentent des difficultés sans nombre aux constructeurs, excitèrent l’émulation des architectes du moyen âge. Il n’était pas de seigneur qui ne voulût avoir un degré plus élégant et mieux entendu que celui de son voisin, et, en effet, le peu qui nous reste de ces accessoires indispensables

  1. Ces grandes salles étaient habituellement dallées ; on les lavait chaque jour, et des gargouilles étaient réservées pour l’écoulement de l’eau. « Le sang des victimes s’écoulait de toute part et ruisselait par les ouvertures (rigel-stein) pratiquées vers le seuil des portes. » (Les Niebelungen, 35e aventure.)