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qu’il fallût un jour noircir tant de papier, dans leur propre pays, pour essayer de faire apprécier leurs efforts et leurs progrès. En avance sur leur siècle, par l’étendue de leurs connaissances, et plus encore par leur indépendance comme artistes ; dédaignés par les siècles plus éclairés, qui n’ont pas voulu se donner la peine de les comprendre, en vérité leur destinée est fâcheuse. Le jour de la justice ne viendra-t-il jamais pour eux ?

Les besoins de la construction civile sont beaucoup plus variés que ceux de la construction religieuse ; aussi l’architecture civile fournit-elle aux architectes du moyen âge l’occasion de manifester les ressources nombreuses que l’on peut trouver dans les principes auxquels ils s’étaient soumis. Il est nécessaire de bien définir ces principes, car ils ont une grande importance. L’architecture des Romains (non celle des Grecs, entendons-nous bien[1]) est une structure revêtue d’une décoration qui devient ainsi, par le fait, l’architecture, l’architecture visible. Si l’on relève un monument romain, il faut faire deux opérations : la première consiste à se rendre compte des moyens employés pour élever la carcasse, la construction, l’édifice véritable ; la seconde, à savoir comment cette construction a pris une forme visible plus ou moins belle, ou plus ou moins bien adaptée à ce corps. Nous avons rendu compte ailleurs de cette méthode[2]. Ce système possède ses avantages, mais il n’est souvent qu’un habile mensonge. On peut étudier la construction romaine indépendamment de l’architecture romaine, et ce qui le prouve, c’est que les artistes de la renaissance ont étudié cette forme extérieure sans se rendre compte du corps qu’elle recouvrait. L’architecture et la construction du moyen âge ne peuvent se séparer, car cette architecture n’est autre chose qu’une forme commandée par cette construction même. Il n’est pas un membre, si infime qu’il soit, de l’architecture gothique, à l’époque où elle passe aux mains des laïques, qui ne soit imposé par une nécessité de la construction ; et si la structure gothique est très-variée, c’est que les besoins auxquels il lui faut se soumettre sont nombreux et variés eux-mêmes. Nous n’espérons pas faire passer sous les yeux de nos lecteurs toutes les applications du système de la construction civile chez les gens du moyen âge ; nous ne pouvons prétendre non plus tracer à grands

  1. Pour les architectes qui ont quelque peu étudié les arts de l’antiquité, la différence entre l’architecture des Grecs et celle des Romains est parfaitement tranchée : ces deux arts suivent, ainsi que nous l’avons dit bien des fois, des voies opposées ; mais pour le vulgaire, il n’en est pas ainsi, et l’on confond ces deux arts, comme si l’un n’était qu’un dérivé de l’autre. Combien de fois n’a-t-on pas dit et écrit, par exemple, que le portail de Saint-Gervais, à Paris, est un portail d’architecture grecque ? Il n’est guère plus grec que romain. C’est cependant sur des jugements aussi aveugles que la critique des arts de l’architecture se base chez nous depuis longtemps, et cela parce que nous, architectes, par insouciance peut-être, nous sommes les seuls en France qui n’écrivons pas sur notre art.
  2. Voy. nos Entretiens sur l’Architecture.