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portera une saillie à chaque étage sur celui du dessous. Ainsi ce mur aura une propension à s’incliner du dehors au dedans : 1o parce que son axe B tombera en B′ en dedans de l’axe inférieur A, 2o parce que le parement extérieur offrira une surface moins compressible que le parement intérieur. Donc ce mur ainsi construit exercera contre les bouts des poutres C une pression d’autant plus puissante que ces planchers seront plus élevés au-dessus du sol. Donc il sera superflu de chaîner les murs, qui, loin de tendre à s’écarter, auront au contraire une propension à s’incliner vers le centre du bâtiment.

On voit, par cet exemple, que, bien que la construction civile du moyen âge ait son caractère propre, distinct de la construction religieuse, cependant les architectes cherchent, dans l’une comme dans l’autre, à remplacer les masses inertes par des forces agissantes. Dans les constructions civiles, les planchers sont considérés comme des étrésillonnements posés entre des murs qui tendent à se rapprocher. Ainsi ces planchers sont roidis par la pression des murs, et l’ensemble de la bâtisse offre une grande solidité par suite de ces pressions contre un étrésillonnement.

Les constructeurs du moyen âge font preuve, dans les combinaisons des voûtes tenant aux édifices civils, d’une grande indépendance : le berceau, la voûte d’arête romaine, la voûte gothique en arcs d’ogive plein-cintre ou surbaissée, la voûte composée d’arcs espacés supportant des plafonds ou des voûtains, tout leur est bon, suivant l’occasion ou le besoin. Lorsque, dans l’architecture religieuse, ils ne suivaient plus qu’un seul mode de voûte, c’est-à-dire pendant les XIIIe et XIVe siècles, ils avaient cependant le bon esprit de n’appliquer ce système, dans les constructions civiles, qu’autant qu’il offrait des avantages. Souvent des bâtiments très-larges nécessitaient l’érection d’un ou deux rangs de piliers à l’intérieur pour porter les planchers des étages supérieurs, ainsi que nous l’avons vu plus haut ; alors le rez-de-chaussée était généralement voûté ; mais, comme ces quilles superposées, étrésillonnées seulement par les planchers, n’avaient pas de stabilité, on faisait en sorte de les bien asseoir, au moins sur les piles inférieures portant les voûtes, et, dans la crainte d’écraser les sommiers de ces voûtes sous la charge, on les rendait indépendants des piles.

Ainsi, par exemple (127) : soit une pile A de rez-de-chaussée destinée à porter des voûtes, on établissait sur cette pile deux ou trois assises B formant encorbellement sur les quatre faces ; on obtenait ainsi un repos C. Aux angles, on posait des sommiers D suivant les diagonales du carré, pour recevoir les claveaux E des arcs ogives de la voûte ; au centre, on continuait d’élever librement la pile G recevant les planchers supérieurs, puis on fermait en moellon les remplissages H des voûtes. Les sommiers de ces voûtes, non plus que ses remplissages, ne recevaient aucune charge, et le massif garnissant les reins ne faisait qu’étrésillonner les piles. Craignant l’action des poussées au rez-de-chaussée sur des murs qui n’étaient pas toujours munis de contre-forts, les constructeurs établis-