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[construction]
[développements]
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la découpure cintrée et ajourée de la première fenêtre du sanctuaire et tenant lieu de formeret de voûte à l’intérieur ; en F, l’archivolte-formeret des meneaux non vitrés séparant la chapelle du chœur. Ici on observera que cet arc F est mouluré dans la partie cachée par la maçonnerie de l’angle rentrant derrière l’arc ogive E : ce qui prouve de la manière la plus évidente que chaque membre de la construction a été tracé et taillé séparément sur le chantier d’après des épures partielles, et que ces diverses parties ainsi préparées par l’appareilleur ont été mises en place par le poseur, qui seul connaissait chacune de leurs fonctions et leurs rapports dans l’ensemble de la bâtisse. Le maçon est venu remplir les intervalles restant entre ces membres s’enchevêtrant, se pénétrant, tout en restant libres. Nous avons tracé en K la projection horizontale de cet angle rentrant avec la pénétration des deux archivoltes-formerets G.

Une pareille construction ne se compose que de piles recevant des nerfs élastiques, mais résistants, portant les remplissages des voûtes, ou maintenant des châssis de pierre dans de larges feuillures ; elle nous fait connaître que le maître de l’œuvre ne pouvait rien abandonner au hasard, rien ajourner, tout prévoir dès la première assise, classer ses épures avec méthode, et qu’il n’avait besoin, la pierre étant taillée sur ces épures, et les morceaux prêts, que de donner ses instructions à un poseur habile qui venait prendre successivement toutes les parties de l’édifice et les mettre en place dans leur ordre, comme le gâcheur du charpentier prend une à une les pièces d’une charpente taillée à l’avance sur l’aire, pour les mettre au levage. Aujourd’hui on procède autrement : on accumule des blocs de pierre, sans trop savoir souvent quelle sera la forme définitive qu’ils prendront, et on taille à même ces blocs les pénétrations des sommiers, les moulures, comme on pourrait le faire dans une masse homogène, sans trop se soucier des lits, des joints qui ne coïncident pas avec les formes données. Est-ce mieux ? Est-ce le moyen d’obtenir une construction plus solide ? Il est permis d’en douter. On peut affirmer toutefois que c’est moins raisonnable, moins habile, moins intelligent et plus coûteux.

Il n’est pas de construction religieuse du moyen âge plus avancée que celle des églises de Saint-Urbain de Troyes et de Saint-Nazaire de Carcassonne dans la voie ouverte par les architectes du XIIIe siècle. On ne pouvait, en effet, aller au delà sans substituer le métal à la pierre. Soit que les architectes du XIVe siècle aient été arrêtés par cette impossibilité, soit que de fâcheux essais leur aient démontré qu’ils dépassaient déjà les limites imposées par la matière, toujours est-il qu’une réaction eut lieu vers 1330, et que les constructeurs abandonnèrent ces méthodes trop hardies pour revenir à un système plus sage ; mais cette réaction eut pour effet de détruire l’originalité : on en vint aux formules. À cette époque, nous voyons les architectes laisser de côté, dans les œuvres vives de leurs bâtisses, l’assemblage simultané des pierres sur leur lit et en délit qui avait fourni aux constructeurs du XIIIe siècle de si beaux motifs d’archi-