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désordres. Il est aisé de raisonner théoriquement sur ces énormes pesanteurs réparties inégalement ; mais dans la pratique, faute de précautions de détail, et en abandonnant l’exécution aux méthodes de la routine, nous en sommes réduits, le plus souvent, à reconnaître notre impuissance, à accuser l’art que nous professons, le sol sur lequel nous bâtissons, les matériaux, les entrepreneurs, tout et tout le monde, sauf la parfaite ignorance dans laquelle on veut nous laisser, sous prétexte de conserver les traditions classiques. Nous admettons volontiers que l’architecture des Romains soit supérieure à l’architecture gothique, cela d’autant plus volontiers, que, pour nous, l’architecture des Grecs, des Romains et des Occidentaux du moyen âge, est bonne, du moment qu’elle reste fidèle aux principes admis par chacune de ces trois civilisations ; nous ne disputerons pas sur une affaire de goût. Mais si nous voulons élever des monuments à l’instar de ceux de Rome antique, il nous faut les bâtir comme bâtissaient les Romains ; ayons de la place, des esclaves, une volonté puissante ; soyons les maîtres du monde, allons requérir des hommes et prendre des matériaux où bon nous semblera… Louis XIV a pris le rôle du Romain constructeur au sérieux, jusqu’à prétendre parfois bâtir comme un Romain. Il a commencé l’aqueduc de Maintenon en véritable empereur de l’antique cité ; il a commencé sans pouvoir achever. L’argent, les bras, et, plus que tout cela, la raison impérieuse, ont manqué. Dans nos grands travaux des voies ferrées, nous nous rapprochons aussi des Romains, et c’est ce que nous avons de mieux à faire ; mais pour nos constructions urbaines, les monuments ou les habitations de nos cités, lorsque nous prétendons les singer, nous ne sommes que ridicules, et nous ferions plus sagement, il nous semble, de profiter des éléments employés chez nous avec raison et succès par des générations d’artistes ayant admis des principes qui s’accordent avec nos besoins, nos moyens, nos matériaux et le génie moderne.

Déjà nous en avons dit assez sur la construction du moyen âge pour faire comprendre en quoi son principe diffère complètement du principe de la construction romaine, comment les procédés qui conviennent à l’une ne peuvent convenir à l’autre, comment les deux méthodes sont la conséquence de civilisations, d’idées et de systèmes opposés. Ayant admis le principe de l’équilibre, des forces agissantes et opposées les unes aux autres pour arriver à la stabilité, les constructeurs du moyen âge devaient, par suite du penchant naturel à l’homme vers l’abus en toute chose, arriver à exagérer, dans l’application successive de ces principes, ce qu’ils pouvaient avoir de bon, de raisonnable et d’ingénieux. Cependant, nous le répétons, l’abus se fait moins sentir dans les provinces du domaine royal et particulièrement dans l’Île-de-France que dans les autres contrées où le système de la construction gothique avait pénétré.

Ce qu’il est facile de reconnaître, c’est que, déjà au milieu du XIIIe siècle, les constructeurs se faisaient un jeu de ces questions d’équilibre si difficiles à résoudre dans des édifices d’une très-grande dimension et composés