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[développements]
[construction]
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parfaitement solide, bien combinée, dont les dimensions seraient triplées en tous sens, ne pourrait être maintenue debout. Ce sont là de ces lois que la pratique seule peut faire connaître. Il n’est pas besoin de faire des calculs compliqués pour comprendre, par exemple, qu’une pile dont la section horizontale carrée donne un mètre superficiel, et dont la hauteur est de dix mètres, donne dix mètres cubes reposant sur une surface carrée d’un mètre de côté ; que si nous doublons cette pile en hauteur, épaisseur et largeur, bien que les rapports entre sa hauteur et sa base soient pareils à ceux de la première pile, nous obtenons une surface carrée de deux mètres de côté, soit quatre mètres superficiels et un cube de quatre-vingts mètres. Dans le premier cas, le rapport de la surface avec le cube est de 1 à 10, dans le second, de 1 à 20. Les rapports des pesanteurs avec les surfaces augmentent donc dans une proportion croissante à mesure que l’on augmente l’échelle d’un édifice[1]. Cette première règle élémentaire posée, il se présente, dans la construction de très-grands édifices, une difficulté qui vient encore augmenter l’effet des pesanteurs produites par l’accroissement du cube. Si les matériaux ne dépassent pas une certaine hauteur de banc, leurs dimensions en longueur et largeur sont également limitées ; il en résulte que si l’on peut élever, par exemple, une pile donnant un mètre de surface dans sa section horizontale au moyen d’assises prises chacune dans un seul bloc de pierre, il n’en sera pas de même lorsqu’une pile donnera quatre mètres de surface dans sa section horizontale, car on ne peut guère se procurer des assises de cette dimension. Ainsi, en augmentant l’échelle d’un édifice, d’une part on change les rapports entre les cubes ou pesanteurs et les surfaces, de l’autre on ne peut obtenir une homogénéité aussi complète dans les parties qui le constituent. Nouvelle cause de rupture, de dislocation. Pour éviter le danger qui résulte d’une charge trop considérable reposant sur une surface peu étendue, naturellement on est amené à augmenter cette surface à la base, quitte à la diminuer à mesure que la construction s’élève et que les pesanteurs deviennent moindres par conséquent. Le type qui se rapproche le plus de ce principe est une pyramide ; mais une pyramide est un amas, ce n’est pas une construction.

Supposons une tour élevée sur quatre murs ; en coupe, cette tour présente la fig. 90. Nous avons donné aux murs, à la base, une épaisseur suffisante pour résister à la pression des parties supérieures, et, autant

  1. Nous avons quelquefois rencontré des architectes fort surpris de voir les piles de leurs églises s’écraser sous la charge, et dire : « Mais nous avons exactement suivi les proportions relatives de tel édifice et employé des matériaux analogues, comme résistance ; la construction gothique ne présente réellement aucune sécurité. » On pourrait répondre : « Nulle sécurité, il est vrai, si l’on veut augmenter ou diminuer les échelles en conservant les proportions relatives ; la construction gothique demande que l’on prenne le temps de l’étudier et d’en connaître les principes, et les architectes gothiques ont eu le tort d’inventer un système de construction qui, pour être appliqué, doit être connu et raisonné. »