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[développements]
[construction]
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à ceux de l’époque romaine, ou si, par exception, ils ont voulu dépasser l’échelle ordinaire, il faut reconnaître qu’ils n’ont pas subordonné les formes à ce changement des dimensions : ainsi, par exemple, la grande basilique d’Agrigente, connue sous le nom de temple des Géants, reproduit, en colossal, des formes adoptées dans des temples beaucoup plus petits ; les chapiteaux engagés de cet édifice sont composés de deux blocs de pierre juxtaposés. Faire un chapiteau engagé, en réunissant deux pierres l’une à côté de l’autre, de façon à ce qu’il y ait un joint dans l’axe de ce chapiteau, est une énormité en principe. Dans ce même monument, les colosses, qui probablement étaient adossés à des piles et formaient le second ordre intérieur, sont sculptés dans des assises de pierre si faibles, que leurs têtes se composent de trois morceaux. Faire une statue, une cariatide, fût-elle colossale, au moyen d’assises superposées, est encore une énormité pour un véritable constructeur. Les joints étaient cachés sous un stuc peint qui dissimulait la pauvreté de l’appareil, soit ; à notre point de vue, en nous mettant à la place du constructeur gothique, l’ignorance du principe n’est pas moins évidente. Mais il faut juger les arts en leur appliquant leurs propres principes, non point en leur appliquant les principes qui appartiennent à des arts étrangers. Nous ne faisons pas ici un procès à l’architecture grecque ; seulement nous constatons un fait, et nous demandons qu’on juge l’architecture gothique en prenant ses éléments propres, son code, et non en lui appliquant des lois qui ne sont pas faites pour elle.

Les Romains n’ont qu’une seule manière de bâtir applicable à tous leurs édifices, quelle que soit leur dimension ; nos lecteurs le savent déjà, les Romains moulent leurs édifices sur une forme ou dans une forme, et les revêtent d’une enveloppe purement décorative, qui n’ajoute et ne retranche rien à la solidité. Cela est excellent, cela est raisonnable ; mais cela n’a aucun rapport avec la construction gothique, dont l’apparence n’est que le résultat de la structure[1].

Revenons à notre point de départ. Nous disions donc que les architectes gothiques du XIIIe siècle ont soumis leur mode de construction à la dimension des édifices qu’ils voulaient élever. Il est une loi bien simple et que tout le monde peut comprendre, sans avoir les moindres notions de statique ; c’est celle-ci : les pierres à bâtir étant données et ayant une hauteur de banc de 0,40 c., par exemple, si nous élevons une pile de 3m,20 de hauteur avec ces pierres, nous aurons neuf lits horizontaux dans la hauteur de la pile ; mais si, avec les mêmes matériaux, nous élevons une pile ayant 6m,40 de hauteur, nous aurons dix-sept lits. Si chaque lit subit une dépression d’un millimètre, pour la petite pile, le tassement

  1. On nous accusera peut-être de nous répéter dans le cours de cet ouvrage ; mais les préjugés contre lesquels il nous faut combattre ne sont que le résultat de l’erreur ou de fausses appréciations répétées avec une persistance rare. En pareil cas, la vérité, pour faire briller ses droits, n’a d’autre ressource que d’employer la même tactique.