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sage régulier, vêtus, nourris, entretenus, travaillant sous une même direction, conservant les traditions, enregistrant les perfectionnements ; 4o parce qu’eux seuls alors étendirent au loin leur influence en fondant des établissements relevant de l’abbaye mère, qu’ils durent ainsi profiter de tous les efforts partiels qui se faisaient dans des contrées fort différentes par le climat, les mœurs et les habitudes. C’est à l’activité des ordres religieux que l’art de la construction dut de sortir, au XIe siècle, de la barbarie. L’ordre de Cluny, comme le plus considérable (voy. Architecture Monastique), le plus puissant et le plus éclairé, fut le premier qui eut une école de constructeurs dont les principes nouveaux devaient produire, au XIIe siècle, des monuments affranchis des dernières traditions romaines. Quels sont ces principes ? comment se développèrent-ils ? C’est ce que nous devons examiner.

principes. — Pour que des principes nouveaux se développent, en toute chose, il faut qu’un état et des besoins nouveaux se manifestent. Quand l’ordre de saint Benoît se réforma, au XIe siècle, les tendances des réformateurs ne visaient à rien moins qu’à changer toute une société qui, à peine née, tombait déjà en décomposition. Ces réformateurs, en gens habiles, commencèrent donc par abandonner les traditions vermoulues de la société antique : ils partirent de rien, ne voulurent plus des habitations à la fois somptueuses et barbares qui jusqu’alors avaient servi de refuge aux moines corrompus des siècles précédents. Ils se bâtirent eux-mêmes des cabanes de bois, vécurent au milieu des champs, prenant la vie comme le pourraient faire des hommes abandonnés à leur seule industrie dans un désert. Ces premiers pas eurent une influence persistante, lorsque même la richesse croissante des monastères, leur importance au milieu de la société les porta bientôt à changer leurs cahutes contre des demeures durables et bâties avec luxe. Satisfaire rigoureusement au besoin est toujours la première loi observée, non-seulement dans l’ensemble des bâtiments, mais dans les détails de la construction ; ne jamais sacrifier la solidité à une vaine apparence de richesse est la seconde. Cependant la pierre et le bois sont toujours de la pierre et du bois, et si l’on peut employer ces matières dans une construction en plus ou moins grande quantité, leur fonction est la même chez tous les peuples et dans tous les temps. Quelque riches et puissants que fussent les moines, ils ne pouvaient espérer construire comme l’avaient fait les Romains. Ils s’efforcèrent donc d’élever des constructions solides et durables (car ils comptaient bien bâtir pour l’avenir) avec économie. Employer la méthode romaine la plus ordinaire, c’est-à-dire en composant leurs constructions de massifs de blocages enfermés entre des parements de brique ou de moellon, c’était mettre à l’œuvre plus de bras qu’ils n’en avaient à leur disposition. Construire au moyen de blocs énormes de pierre de taille, soigneusement taillés et posés, cela exigeait des transports impossibles, faute de routes solides, un nombre considérable d’ouvriers habiles, de bêtes de somme,