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[construction]
[voûtes]
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sur ce point, des moellons d’un échantillon beaucoup plus fort que partout ailleurs. Étant, par la position verticale de la cerce, obligé de faire passer l’arête d’intrados du lit de chaque rang de moellon dans un plan vertical, le maçon arrive, sans le savoir, à répartir sur chacun de ces rangs le surplus de développement imposé par la concavité de la voûte. Tout cela est beaucoup plus simple à exécuter qu’à expliquer, et nous n’avons jamais éprouvé de difficulté à faire adopter cette méthode dans la pratique. Un maçon adroit, aidé d’un garçon qui lui apporte son moellon débité et son mortier, ferme un triangle de voûte sans le secours d’aucun engin, sans cintres et sans autres outils que sa hachette et sa cerce. Une fois que l’ouvrier a compris la structure de ces voûtes (ce qui n’est pas long), il pose les rangs de claveaux avec une grande facilité, n’ayant qu’à les retoucher légèrement avec sa hachette pour leur ôter leur parallélisme. Presque toujours, lorsqu’il a acquis de la pratique, il abandonne les cerces à rainures, et se contente de deux courbes qu’il maintient avec deux broches, les allongeant à chaque rang, car les lits de ces moellons étant très-peu inclinés, si ce n’est près de la clef, il suffit d’un faible soutien pour les empêcher de glisser sur le mortier. Chaque rangée posée formant un arc, la cerce est enlevée sans qu’il en résulte le moindre mouvement. Il faut dire que ces moellons sont généralement peu épais, et que beaucoup de remplissages de grandes voûtes gothiques, surtout à la fin du XIIe siècle, n’ont pas plus de 0,10 c. à 0,12 c. d’épaisseur[1]. Cette méthode de construire les voûtes n’est pas la seule ; elle appartient uniquement à l’Île-de-France, au Beauvoisis et à la Champagne, pendant la seconde moitié du XIIe siècle ; tandis que, dans les autres provinces, des moyens moins raisonnés sont adoptés. En Bourgogne, grâce à certaines qualités particulières de calcaires se délitant en feuilles minces, rugueuses, adhérentes au mortier, on construisit longtemps les voûtes en maçonnerie enduite, bloquée sur couchis de bois. Les voûtes du chœur de l’église abbatiale de Vézelay, bâti vers la fin du XIIe siècle, présentent un singulier mélange des méthodes adoptées par les constructeurs de l’Île-de-France et des traditions bourguignonnes. On voit combien les appareilleurs bourguignons, si habiles traceurs, étaient embarrassés pour donner aux claveaux de remplissage des formes convenables : ne pouvant en faire l’épure rigoureuse, ils tâtonnaient, bandaient les reins en matériaux taillés tant bien que mal ; puis, ne sachant comment fermer ces remplissages, ils les terminaient par du moellon brut enduit. Ce n’était pas là une méthode, c’était un expédient.

Au milieu des provinces comprises dans l’ancienne Aquitaine, l’habitude que les constructeurs des Xe et XIe siècles avaient contractée de fermer leurs édifices par des coupoles s’était si bien enracinée, qu’ils ne

  1. Les remplissages des grandes voûtes de la cathédrale de Paris n’ont pas plus de 0,10 c. d’épaisseur.