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élever une salle, une église, était certainement supérieure à ce que nous demandons à un architecte de notre temps, qui peut faire bâtir sans connaître les premiers éléments de son art, ainsi qu’il arrive trop souvent. Dans ces temps d’ignorance et de barbarie, les plus intelligents, ceux qui s’étaient élevés par leur propre génie au-dessus de l’ouvrier vulgaire, étaient seuls capables de diriger une construction ; et la direction des bâtisses, forcément limitée entre un nombre restreint d’hommes supérieurs, devait, par cela même, produire des œuvres originales, dans l’exécution desquelles le raisonnement entre pour une grande part, où le calcul est apparent, et dont la forme est revêtue de cette distinction qui est le caractère particulier des constructions raisonnées et se soumettant aux besoins et aux usages d’un peuple. Il faut bien reconnaître, dussions-nous être désignés nous-mêmes comme des barbares, que la beauté d’une construction ne réside pas dans les perfectionnements apportés par une civilisation et une industrie très-développées, mais dans le judicieux emploi des matériaux et des moyens mis à la disposition du constructeur. Avec nos matériaux si nombreux, les métaux que nous livrent nos usines, avec les ouvriers habiles et innombrables de nos cités, il nous arrive d’élever une construction vicieuse, absurde, ridicule, sans raison ni économie ; tandis qu’avec du moellon et du bois, on peut faire une bonne, belle et sage construction. Jamais, que nous sachions, la variété ou la perfection de la matière employée n’a été la preuve du mérite de celui qui l’emploie ; et d’excellents matériaux sont détestables, s’ils sont mis en œuvre hors de la place ou de la fonction qui leur conviennent, par un homme dépourvu de savoir et de sens. Ce dont il faut s’enorgueillir, c’est du bon et juste emploi des matériaux, et non de la quantité ou de la qualité de ces matériaux. Ceci dit sous forme de parenthèses et pour engager nos lecteurs à ne pas dédaigner les constructeurs qui n’avaient à leur disposition que de la pierre mal extraite, du mauvais moellon tiré sur le sol, de la chaux mal cuite, des outils imparfaits et de faibles engins : car, avec des éléments aussi grossiers, ces constructeurs peuvent nous enseigner d’excellents principes, applicables dans tous les temps. Et la preuve qu’ils le peuvent, c’est qu’ils ont formé une école qui, au point de vue de la science pratique ou théorique, du judicieux emploi des matériaux, est arrivée à un degré de perfection non surpassé dans les temps modernes. Permis à ceux qui enseignent l’architecture sans avoir pratiqué cet art de ne juger les productions architectoniques des civilisations antiques et modernes que sur une apparence, une forme superficielle qui les séduit ; mais pour nous qui sommes appelés à construire, il nous faut chercher notre enseignement à travers les tentatives et les progrès de ces architectes ingénieux qui, sortant du néant, avaient tout à faire pour résoudre les problèmes posés par la société de leur temps. Considérer les constructeurs du moyen âge comme des barbares, parce qu’ils durent renoncer à construire en employant les méthodes des Romains, c’est ne pas vouloir tenir compte de l’état de la société nouvelle, c’est méconnaître les modifi-