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Alors la vaste enceinte fortifiée qui entourait le donjon se garnissait de cabanes élevées à la hâte, et devenait un camp fortifié dans lequel chacun apportait ce qu’il avait de plus précieux, des vivres et tout ce qui était nécessaire pour soutenir un siège ou un blocus. Cela explique ces défenses étendues qui semblent faites pour contenir une armée, bien qu’on y trouve à peine des traces d’habitation. Cependant les Normands conçoivent la forteresse dans des vues politiques autant que personnelles ; les seigneurs français profitent de la sagacité déployée par les barons normands dans leurs ouvrages militaires, mais seulement avec l’idée de défendre le domaine, de trouver un asile sûr pour eux, leur famille et leurs hommes. Le château normand conserve longtemps les qualités d’une forteresse combinée de façon à se défendre contre l’assaillant étranger ; son assiette est choisie pour commander des passages, intercepter des communications, diviser des corps d’armée, protéger un territoire ; ses dispositions intérieures sont comparativement larges, destinées à contenir des compagnies nombreuses. Le château français ne s’élève qu’en vue de la garde du domaine féodal ; son assiette est choisie de façon à le protéger seul ; ses dispositions intérieures sont compliquées, étroites, accusant l’habitation autant que la défense ; elles indiquent la recherche d’hommes réunis en petit nombre, dont toutes les facultés intellectuelles sont préoccupées d’une seule pensée, celle de la défense personnelle. Le château français est comme un groupe de châteaux qui, au besoin, peuvent se défendre les uns contre les autres. Le seigneur français s’empare, au XIIe siècle, de l’esprit de ruse normand, et il l’applique aux moindres détails de sa résidence, en le rapetissant, pour ainsi dire.

Cet aperçu général tracé, nous passerons à l’examen des monuments. Nous nous occuperons d’abord du château normand ; le plus avancé au point de vue militaire pendant le cours du XIe siècle. Le château d’Arques, près de Dieppe, nous servira de point de départ, car nous retrouvons encore dans son assiette et ses combinaisons de détail les principes de la défense normande primitive. Sur le versant sud-ouest de la vallée d’Arques, à quelques kilomètres de la mer, se détache une langue de terre crayeuse qui forme comme une sorte de promontoire défendu par la nature de trois côtés. C’est à l’extrémité du promontoire que Guillaume[1], oncle de Guillaume le Bâtard, par suite de la donation que son neveu lui avait faite du comté d’Arques vers 1040, éleva la forteresse dont nous allons essayer de faire comprendre l’importance. Peut-être existait-il déjà sur ce point un château ; des constructions antérieures à cette époque, il ne reste pas trace. Guillaume d’Arques, plein d’ambition, reconnut le don de son neveu en cherchant à lui enlever le duché de Normandie ; en

    campagne, ou d’une charge d’hébergeage s’ils étaient dans une ville. La condition des hôtes diffère peu d’ailleurs de celle du paysan.

  1. Hic Willelmus castrum Archarum in cacumine ipsius montis condidit (Guillaume de Jumiéges). Arcas castrum in pago Tellau primus statuit. Chron. de Fontenelle.