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laquelle il est planté. Les architectes du clocher de Saint-Front n’ont rien trouvé de mieux évidemment que de superposer deux étages carrés en retraite l’un au-dessus de l’autre et produisant ainsi le plus dangereux porte-à-faux qu’il soit possible d’imaginer ; car les parements intérieurs des murs de l’étage carré supérieur surplombent les parements de l’étage inférieur, de sorte que les piles d’angles portent en partie sur les voussoirs des petits arcs inférieurs, et les sollicitent à pousser les pieds-droits en dehors. Ne s’en tenant pas à cette première disposition si vicieuse, ces architectes couronnèrent l’étage supérieur d’une voûte hémisphérique surmontée, toujours en porte-à-faux, d’un chapeau à peu près conique porté sur un rang de colonnes isolées prises à des monuments romains et toutes de hauteurs et de diamètres différents. Il est vrai que, pour diminuer les dangers résultant de la poussée de la calotte supérieure sur les piles d’angles, les arcades de l’étage supérieur furent simplement fermées par des linteaux cintrés, au lieu de l’être par des archivoltes ; mais ces linteaux devaient casser sous la charge, et c’est ce qui arriva. Ce dont on peut s’émerveiller, c’est qu’une pareille tour ait pu se maintenir debout. Il faut croire que, dans l’épaisseur des maçonneries, entre les rangs d’arcades, des chaînages horizontaux en bois furent posés, conformément aux habitudes des constructeurs occidentaux, et que ces chaînages maintinrent cette construction. Quoi qu’il en soit, peu de temps après l’achèvement du clocher de Saint-Front, les arcades que nous avons figurées vides, conformément au plan originaire, furent en partie bouchées par des pieds-droits et des archivoltes en sous-œuvre qui diminuèrent considérablement les ouvertures primitives, et les fenêtres carrées de la base furent complètement murées. Déjà, dans la construction de ce clocher primitif, on sent l’influence de cet esprit hardi des architectes occidentaux qui, un siècle plus tard, allait produire, appuyé sur le savoir et l’expérience, des monuments surprenants par leur hauteur, leur légèreté et leur solidité. Il est difficile de reconnaître aujourd’hui jusqu’à quel point le clocher de Saint-Front de Périgueux servit de type aux architectes des provinces de l’ouest ; qu’il ait exercé une influence sur un grand nombre de leurs constructions, le fait n’est pas douteux ; mais nous trouvons, dans des clochers qui lui sont postérieurs d’un demi-siècle environ, des éléments provenant d’autres sources. Ce qui caractérise le clocher de Saint-Front, ce sont ces étages carrés en retraite et renforcés de colonnes engagées, entre lesquelles s’ouvrent de petites baies cintrées, et surtout ce couronnement conique porté sur un tambour formé de colonnes. Nous retrouvons un grand nombre de couronnements coniques dans l’ouest et jusque vers la Loire, sur des clochers des XIe et XIIe siècles, ainsi que les étages carrés avec leurs colonnes engagées dont les chapiteaux supportent les corniches. Mais, parallèlement à cette famille de clochers périgourdins importés peut-être par les Vénitiens, nous en voyons surgir une autre dont nous aurions grand’peine à reconnaître l’origine, les types primitifs n’existant plus. Ces types étaient-ils latins ? ce