Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 3.djvu/291

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[clocher]
— 288 —

clochers, des formes nouvelles, puisque la basilique antique n’avait rien qui pût servir de modèle à ce genre de construction.

L’idée d’élever, à la place du narthex, une tour massive propre à la défense de l’entrée du monument, dut être la plus naturelle, et c’est, comme nous l’avons dit plus haut, celle qui fut adoptée. Les constructeurs carlovingiens, préoccupés avant tout d’élever une défense surmontée d’une guette et d’un signal sonore, ne songèrent pas tout d’abord à décorer leurs clochers. Des murs épais flanqués aux angles de contreforts plats, percés à la base d’une arcade cintrée, aux étages intermédiaires de rares fenêtres, et couronnés par un crénelage, une loge et un beffroi durent composer nos plus anciens clochers. Le rez-de-chaussée voûté en berceau plein cintre, ordinairement sur plan barlong[1], servait de porche. Rarement un escalier communiquait directement de la base au faîte du monument, afin de rendre plus difficile la prise de cette défense. On n’arrivait aux étages supérieurs que par les combles de la nef ou par une porte percée à l’intérieur de l’église, à quelques mètres au-dessus d’un pavé, et en se servant d’une échelle[2]. Au point de vue de l’art, ces constructions n’avaient rien de remarquable. Ce devaient être de véritables bâtisses élevées pour satisfaire au besoin du moment. Cependant le porche, la partie inférieure de l’édifice précédant l’entrée, affectait parfois des dispositions déjà recherchées[3]. L’architecture romane primitive était pauvre en invention ; toutes les fois qu’elle ne s’appuyait pas sur une tradition romaine, elle était singulièrement stérile. Mais quand, dans l’ouest, des Vénitiens eurent fait pénétrer les arts qu’eux-mêmes avaient été recueillir en Orient[4], il se fit une véritable révolution dans l’art de bâtir, révolution qui, du Périgord et du Limousin, s’étendit jusque sur la Loire et en Poitou. À Périgueux même, nous trouvons un immense clocher qui n’est pas moins curieux à étudier à cause de la date reculée de sa construction (premières années du XIe siècle) que par sa forme étrange et la hardiesse de sa structure. Les constructeurs de Saint-Front de Périgueux, après avoir élevé l’église actuelle sur le modèle de celle de Saint-Marc de Venise, bâtirent, sur les restes de l’église latine des VIe ou VIIe siècles, une tour carrée terminée par une calotte conique portée sur des colonnes. Que ce clocher ait été copié plus ou moins fidèlement sur l’ancien campanile de Saint-Marc de Venise, ou qu’il ait été composé, nous ne savons sur quelles données, par les architectes périgourdins du XIe siècle, toujours est-il qu’il présente des dispositions neuves pour

  1. Telles sont les bases des clochers de Créteil près Paris, de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Savin en Poitou, de Poissy (voy. Porche).
  2. Créteil. De récentes restaurations font malheureusement disparaître des portions peut-être uniques en France, de cette curieuse construction du XIe siècle. M. Patoueille, architecte, a bien voulu les relever pour nous, et nous avons l’occasion d’y revenir au mot Porche.
  3. Créteil, Saint-Savin.
  4. Voy. Architecture, et l’Architecture byzantine en France, par M. de Verneilh.