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latine. « Cet homme, dit le signalement attribué à Lentulus, est d’une taille haute et bien proportionnée ; sa physionomie est sévère et pleine de puissance, afin que ceux qui le voient puissent l’aimer et le craindre en même temps. Ses cheveux sont couleur de vin, et, jusqu’à la racine des oreilles, sont longs et sans reflets. Mais, des oreilles aux épaules, ils sont bouclés et brillants ; à partir des épaules, ils descendent sur le dos, divisés en deux parties, à la façon des Nazaréens. Front uni et pur ; face sans tache, tempérée d’une certaine rougeur. Son aspect est modeste et gracieux, son nez et sa bouche irréprochables. Sa barbe est abondante, de la couleur des cheveux, et bifurquée. Ses yeux sont bleus[1] et très-brillants. S’il reprend ou blâme, il est redoutable ; s’il instruit ou exhorte, sa parole est aimable et insinuante. Son visage joint une grâce merveilleuse à la gravité. Personne ne l’a vu rire une seule fois, pas même pleurer[2]. D’une taille svelte, ses mains sont longues et belles, ses bras charmants. Grave et mesuré dans ses discours, il est sobre de paroles. De visage, il est le plus beau des enfants des hommes[3]. » Tous les artistes chrétiens du moyen âge cherchèrent à reproduire ces traits, ce port et cette physionomie ; ils y réussirent quelquefois. En France, jusque vers la fin du XIe siècle, les représentations du Christ sont, comme toute la sculpture et la peinture occidentales avant cette époque, passablement grossières, empreintes des traditions romaines ou byzantines, suivant que les écoles de sculpteurs subissaient l’une ou l’autre de ces deux influences. Sauf quelques traits caractéristiques, comme la longueur des cheveux, la nudité des pieds, le nimbe crucifère, le geste et la présence de quelques accessoires, le livre des évangiles ou le globe, les figures du Christ ne présentent pas un type uniforme ; ils sont barbus ou imberbes, vêtus de la tunique simple, longue ou double ; le manteau se rapproche du pallium grec ou de la toge romaine. Mais, à la fin du XIe siècle, les riches abbayes françaises qui avaient des rapports fréquents avec la Lombardie, où s’était réunie une école d’artistes grecs, et même avec l’Orient, firent venir dans leurs monastères des peintres et des sculpteurs, qui bientôt formèrent en France une école qui surpassa ses maîtres (voy. Statuaire ) et parcourut une longue et brillante carrière. Ces artistes non-seulement introduisirent chez nous la pratique de l’art, mais aussi des types formés, consacrés depuis longtemps déjà en Orient ; types que le génie occidental modifia bientôt, sans cependant s’en écarter tout à fait. Et pour ne parler ici que de la représentation du Christ, nous voyons, sur le portail intérieur de la célèbre église de Vézelay, un immense tympan au milieu duquel est

  1. « Oculi ejus cœrulei. » Peut s’entendre comme bleu foncé, bleu de mer (Ovid.), farouches (Horace).
  2. « Vel semel eum ridentem nemo vidit, sed flentem imo. » Peut s’entendre : « Mais plutôt pleurer. »
  3. Codex apocryp. Nov. Testam. ap Fabricium. Hamburgi, 1703 ; 1o pars, pag. 301, 302. (Voy. Iconog. chrét. Didron ; p. 228, 229.)