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ce qu’il fut, il n’en est pas de même de l’architecture des demeures seigneuriales. En perdant leur caractère de forteresses, elles en prennent un nouveau, plein de charmes, et dont l’étude est une des plus intéressantes et des plus instructives qui se puisse faire. On a répété partout et sous toutes les formes que l’architecture de la renaissance en France avait été chercher ses types en Italie ; on a même été jusqu’à dire que ses plus gracieuses conceptions étaient dues à des artistes italiens. On ne saurait nier que la révolution qui se produit dans l’art de l’architecture, à la fin du XVe siècle, coïncide avec nos conquêtes en Italie ; que la noblesse française, sortant de ses tristes donjons, s’était éprise des riantes villas italiennes, et que, revenue chez elle, son premier soin fut de transformer ses sombres châteaux en demeures somptueuses, étincelantes de marbres et de sculptures. Mais ce qu’il faut bien reconnaître, en face des monuments témoins irrécusables, c’est que le désir des seigneurs français fut interprété par des artistes français qui surent satisfaire à ces nouveaux programmes d’une manière complétement originale, qui leur appartient, et qui n’emprunte que bien peu à l’Italie. Il ne faut pas être très-expert en matière d’architecture pour voir qu’il n’y a aucun rapport entre les demeures de campagne des Italiens de la fin du XVe siècle et nos châteaux français de la renaissance. Nulle analogie dans les plans, dans les distributions, dans la façon d’ouvrir les jours et de couvrir les édifices ; aucune ressemblance dans les décorations intérieures et extérieures. Le palais de ville et celui des champs, en Italie, présentent toujours une certaine masse rectiligne, des dispositions symétriques, que nous ne retrouvons dans aucun château français de la renaissance et jusqu’à Louis XIV. Si l’architecture ne consistait qu’en quelques profils, quelques pilastres ou frises décorés d’arabesques, nous accorderions volontiers que la renaissance française s’est faite italienne ; mais cet art est heureusement au-dessus de ces puérilités ; les principes en vertu desquels il doit se diriger et s’exprimer dérivent de considérations bien autrement sérieuses. La convenance, la satisfaction des besoins, l’harmonie qui doit exister entre les nécessités et la forme, entre les mœurs des habitants et l’habitation, le judicieux emploi des matériaux, le respect pour les traditions et les usages du pays, voilà ce qui doit diriger l’architecte avant tout, et ce qui dirigea les artistes français de la renaissance dans la construction des demeures seigneuriales : ils élevèrent des châteaux encore empreints des vieux souvenirs féodaux, mais revêtant une enveloppe nouvelle en rapport avec cette société élégante, instruite, polie, chevaleresque, un peu pédante et maniérée que le XVIe siècle vit éclore et qui jeta un si vif éclat pendant le cours du siècle suivant. Soit instinct, soit raison, l’aristocratie territoriale comprit que la force matérielle n’était plus la seule puissance prépondérante en France, que ses forteresses devenaient presque ridicules en face de la prédominance royale ; ses donjons redoutables, de vieilles armes rouillées ne pouvant plus inspirer le respect et la crainte au milieu de populations chaque jour plus riches, plus unies, et com-