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La nécessité seule pouvait obliger les seigneurs féodaux à octroyer de ces chartes d’affranchissement, qui leur assuraient à la vérité des revenus fixes (car les sujets des bourgs, villes et villages, ne les obtenaient qu’en payant au seigneur une rente annuelle), mais qui leur enlevaient des droits dont ils abusaient souvent, mettaient à néant des ressources de toutes natures que, dans l’état de féodalité pure, les barons savaient trouver au milieu des populations qui vivaient sur leurs domaines. Une fois les revenus des seigneurs limités, établis par des chartes confirmées par le roi, il fallait songer à limiter les dépenses, à diminuer ces garnisons dispendieuses, à prendre un train en rapport avec l’étendue des rentes fixes, et dont les sujets n’étaient pas disposés à augmenter la quotité. D’un autre côté, le goût du luxe, des habitations plaisantes, augmentait chez les barons, ainsi que le besoin d’imposer aux populations par un état de défense respectable, car l’audace de sujets auxquels on est contraint de faire des concessions s’accroît en raison de l’étendue même de ces concessions.

Plus la nation tendait vers l’unité du pouvoir, plus la féodalité, opposée à ce principe par son organisation même, cherchait, dans ses châteaux, à former comme une société isolée, en opposition permanente contre tout acte émané soit du roi et de ses parlements, soit du sentiment populaire. Ne pouvant arrêter le courant qui s’était établi depuis saint Louis et ne voulant pas le suivre, les seigneurs cherchaient du moins à lui faire obstacle par tous les moyens en leur puissance. Sous des princes dont la main était ferme et les actes dictés par une extrême prudence, cette conspiration permanente de la féodalité contre l’unité, l’ordre et la discipline dans l’État, n’était pas dangereuse, et ne se trahissait que par de sourdes menées bientôt étouffées ; mais si le pouvoir royal tombait en des mains débiles, la féodalité retrouvait, avec ses prétentions et son arrogance, ses instincts de désorganisation, son égoïsme, son mépris pour la discipline, ses rivalités funestes à la chose publique. Brave isolément, la féodalité agissait ainsi devant l’ennemi du pays, en bataille rangée, comme si elle eût été lâche ou traître, sacrifiant souvent à son orgueil les intérêts les plus sacrés de la nation. Vaincue par sa faute en rase campagne, elle se réfugiait dans ses châteaux, en élevait de nouveaux, ne se souciant ni de l’honneur du pays, ni de l’indépendance du souverain, ni des maux de la nation, mais agissant suivant son intérêt personnel ou sa fantaisie. Ce tableau de la féodalité sous le règne du malheureux Charles VI n’est pas assombri à dessein, il n’est que la fidèle image de cette triste époque.

« Et quant les vaillans entrepreneurs (chefs militaires), dit Alain Chartier[1], dont mercy Dieu encores en a en ce royaulme de bien esprouvez, mettent peine de tirer sur champs les nobles pour aucun bienfaire, ils delaient si longuement à partir bien enuis, et s’avancent si tost de retourner voulentiers, que à peine se puet riens bien commencer ; mais

  1. Le Quadrilogue invectif, édit. de 1617, p. 447.