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[chateau]
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« S’il osoient avant venir[1].
« Ens où milieu de la porprise (de l’enceinte)
« Font une tor par grant mestrise
« Cil qui du fere furent mestre[2] ;
« Nule plus bele ne pot estre,
« Qu’ele est et grant, et lée, et haute[3] ;
« Li murs ne doit pas faire faute
« Por engin qu’on saiche getier ;
« Car l’en destrempa le mortier
« De fort vin-aigre et de chaus vive[4]
« La pierre est de roche naïve
« De quoi l’en fist le fondement,
« Si iert dure cum aïment.
« La tor si fu toute réonde,
« Il n’ot si riche en tout le monde,
« Ne par dedens miex ordenée.
« Elle iert dehors avironnée
« D’un baille qui vet tout entor,
« ......
« Dedens le chastel ot perrières
« Et engins de maintes manières.
« Vous poïssiés les mangonniaus
« Véoir pardessus les creniaux[5] ;

  1. Il est évident qu’il s’agit ici de herses (portes coulans).
  2. Les maîtres de l’œuvre élèvent une tour avec une grande habileté au milieu de l’enceinte ; il est question ici du donjon du Louvre, qui, contrairement aux habitudes des XIIe et XIIIe siècles, se trouvait exactement au milieu de l’enceinte carrée. Mais n’oublions pas que le donjon du Louvre était une tour exceptionnelle, un trésor autant qu’une défense. D’ailleurs les quatre portes expliquent parfaitement la situation de ce donjon, qui les masquait et les enfilait toutes les quatre.
  3. Il y a encore ici exagération de la part de Guillaume de Lorris ; le donjon du Louvre n’avait que vingt mètres de diamètre environ sur trente mètres de haut ; le donjon de Coucy est bien autrement important, son diamètre étant de trente-un mètres et sa hauteur de soixante-cinq environ ; cependant le donjon de Coucy devait être élevé lorsque notre poëte écrivait son roman. Il est certain que ce donjon ne fut bâti qu’après celui de Philippe-Auguste. L’orgueilleux châtelain de Coucy, faisant dresser à la hâte les murs de son château, dans l’espoir de mettre la couronne de France sur sa tête, voulut-il faire plus et mieux que le suzerain auquel il prétendait succéder ?
  4. Pensait-on, du temps de Guillaume de Lorris, que la chaux éteinte avec du vinaigre fit de meilleur mortier ? et cette méthode était-elle employée ?
  5. Ce passage mérite la plus sérieuse attention ; il ne s’agit plus ici du donjon, mais de l’ensemble du château. Les courtines du Louvre de Philippe-Auguste n’étaient point doublées de bâtiments à l’intérieur, et le château du Louvre se composait seulement encore, comme les châteaux des XIe et XIIe siècles, d’une enceinte flanquée de tours avec un donjon au centre. Le seigneur habitait le donjon et la garnison les tours. On comprend comment alors on pouvait voir par-dessus les crénelages des courtines la partie supérieure des pierrières et mangonneaux établis sur l’aire de la