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choisit-il pour son expédition ? C’est après avoir vaincu la coalition armée, à la tête de laquelle se trouvait le comte de Bretagne, après avoir protégé les terres du comte de Champagne contre les seigneurs ligués contre lui, c’est après avoir délivré la Saintonge des mains du roi d’Angleterre et du comte de la Marche, c’est enfin après avoir donné la paix à son royaume avec autant de bonheur que de courage, et substitué la suzeraineté de fait à la suzeraineté de nom. Dans une semblable occurrence, la paix, le calme, les réformes et l’ordre pouvaient faire naître les plus graves dangers au milieu d’une noblesse inquiète, oisive, et qui sentait déjà la main du souverain s’étendre sur ses privilèges.

Il est d’ailleurs, dans l’histoire des peuples, une disposition morale à laquelle, peut-être, les historiens n’attachent pas assez d’importance, parce qu’ils ne peuvent pénétrer dans la vie privée des individus ; c’est l’ennui. Lorsque la guerre était terminée, lorsque l’ordre renaissait et par suite l’action du gouvernement, que pouvaient faire ces seigneurs féodaux dans leurs châteaux fermés, entourés de leurs familiers et gens d’armes ? S’ils passaient les journées à la chasse et les soirées dans les plaisirs, s’ils entretenaient autour d’eux, pour tuer le temps, de joyeux compagnons, ils voyaient bientôt leurs revenus absorbés, car ils n’avaient plus les ressources éventuelles que leur procuraient les troubles et les désordres de l’état de guerre. Si, plus prudents, ils réformaient leur train, renvoyaient leurs gens d’armes et se résignaient à vivre en paisibles propriétaires, leurs forteresses devenaient un séjour insupportable, les heures pour eux devaient être d’une longueur et d’une monotonie désespérantes ; car si quelques nobles, au XIIIe siècle, possédaient une certaine instruction et se livraient aux plaisirs de l’esprit, la grande majorité ne concevait pas d’autres occupations que celles de la guerre et des expéditions aventureuses. L’ennui faisait naître alors les projets les plus extravagants dans ces cerveaux habitués à la vie bruyante des camps, aux émotions de la guerre.

Saint Louis, qui n’avait pas cédé à la noblesse armée et menaçante, après l’avoir forcée de remettre l’épée au fourreau, ne se crut peut-être pas en état de lutter contre l’ennui et l’oisiveté de ses vassaux, de poursuivre, entre les forteresses jalouses dont le sol était couvert, les réformes qu’il méditait.

« Les croisades dévorèrent une grande quantité de seigneurs, et firent retourner au trône leurs fiefs devenus vacants. Mais, sous aucun règne, elles ne contribuèrent davantage à l’accroissement du domaine royal que sous celui de saint Louis ; il est facile de s’en rendre raison : les croisades étaient déjà un peu vieillies au temps de saint Louis, les seigneurs ne croyaient plus y être exposés, et n’avaient par conséquent ni armes ni chevaux, ni provisions de guerre ; il fallait emprunter ; ils engagèrent leurs fiefs au roi, qui, étant riche, pouvait prêter. À la fin de la croisade, ceux des seigneurs qui survivaient à leurs compagnons d’armes revenaient si pauvres, si misérables, qu’ils étaient hors d’état de dégager