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construction. La poterne E donnait accès dans de vastes jardins entourés eux-mêmes d’une enceinte[1].

En France et en Normandie, dès l’époque carlovingienne, les enceintes des châteaux étaient flanquées de tours. Mais sur les bords du Rhin et les provinces voisines de la Germanie, il ne paraît pas que ce moyen de défense ait été usité avant le XIIIe siècle, ce qui ferait supposer que les tours flanquantes étaient une tradition gallo-romaine.

« Les monuments féodaux du Xe siècle jusqu’aux croisades, dit M. de Krieg[2], ont, sur les deux rives du Rhin, leur type commun. On y trouve d’abord la tour carrée (rarement cylindrique) qui est ou assise sur des soubassements romains, ou copiée religieusement d’après ces modèles, avec leur socle, leur porte d’entrée au-dessus du sol et leur plate-forme. Ces tours ont pris le nom allemand de berch frid, en latin berefredus, en français beffroi… Les enceintes de ces plus anciens châteaux manquent absolument de flanquement extérieur. Elles sont surmontées d’une couronne de merlons… »

Nous irons plus loin que M. de Krieg, et nous dirons même que les tours employées comme moyen de flanquement des enceintes ne se rencontrent que très-rarement dans les châteaux des bords du Rhin et des Vosges avant le XVe siècle. Le château de Saint-Ulrich, la partie ancienne du château de Hohenkœnigsbourg, le château de Kœnigsheim, celui de Spesbourg, bien que bâtis pendant les XIIIe et XIVe siècles, sont totalement dépourvus de tours flanquantes[3]. Ce sont des bâtiments formant des angles saillants, des figures géométriques rectilignes à l’extérieur et venant se grouper autour du donjon ou beffroi. La plupart de ces châteaux, élevés sur des points inaccessibles, prennent toute leur force dans la situation de leur assiette et ne sont que médiocrement défendus. Le donjon surmontant les bâtiments permettait de découvrir au loin la présence d’un ennemi, et la garnison, prévenue, pouvait facilement empêcher l’escalade de rampes abruptes, barrer les sentiers et arrêter un corps d’armée nombreux loin du château, sans même être obligée de se renfermer derrière ses murs.

Cependant des situations analogues n’empêchaient pas les seigneurs français de munir de tours les flancs et angles saillants de leurs châteaux pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles.

Il se fit, dans la construction des châteaux, au XIIIe siècle, une révolution notable. Jusqu’alors ces résidences ne consistaient, comme nous l’avons vu, que dans des enceintes plus ou moins étendues, simples ou doubles, au milieu desquelles s’élevaient le donjon qui servait de demeure seigneuriale et la salle quelquefois comprise dans le donjon même. Les autres

  1. Ce château n’existe plus ; le plan des élévations et détails, d’un grand intérêt, sont donnés par Ducerceau dans ses Maisons royales de France.
  2. Notes insérées dans le Bulletin monum. Vol. IX, p. 246 et suiv.
  3. Voy. les Notes sur quelques châteaux de l’Alsace, par M. Al. Ramé. Paris, 1855.