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dans l’exécution, avec une entente aussi complète de l’effet des masses. En Bourgogne et dans le Nivernais, ce commencement de végétation est abondant ; puissant ; il se développe dans le même sens. Dans l’Île de France, et en Champagne surtout, il est plus délicat ; la plante est moins vigoureuse, son développement est aussi plus maigre. Ces observations pourront paraître étranges ; elles sont cependant établies sur des faits tellement nombreux, que chacun peut vérifier dans tous les monuments de la période ogivale, qu’on ne saurait en contester la réalité (voy. Flore).

Mais en même temps que se développait cette sorte de végétation de pierre, l’esprit des maîtres, comme nous l’avons vu, ne restait pas inactif. La corbeille[1] du chapiteau roman était formée par la pénétration d’un cône dans un cube. En voulant donner plus de souplesse à la sculpture, et plus de grâce au chapiteau, on avait successivement, pendant la seconde moitié du XIIe siècle, supprimé le cube et creusé le cône. Mais le solide qui servait de transition entre le cylindre de la colonne et le carré du tailloir ne pouvait être géométriquement tracé ; c’était un solide dont la forme n’était pas définie d’une façon rigoureuse, et qu’on laissait à chaque sculpteur la faculté de tailler à son gré. Il en résultait que les chapiteaux analogues d’un même édifice présentaient souvent des galbes très-différents. Cela ne devait point satisfaire les architectes du XIIIe siècle, qui tendaient chaque jour davantage à ne rien laisser au hasard et qui procédaient méthodiquement. On arriva donc à adopter pour les chapiteaux une corbeille indépendante du tailloir, et ne venant plus s’y relier tant bien que mal, comme on le voit dans la fig. 38, par des surfaces gauches. En cela, on se rapprochait de l’ordonnance du chapiteau corinthien antique. Mais, dans le chapiteau corinthien antique, le diamètre supérieur de la corbeille n’excède pas les côtés curvilignes du tailloir, et le tailloir n’est qu’une tablette horizontale par dessous, dont les angles saillants ne sont soutenus que par les volutes à jour qui terminent les caulicoles. Cela n’avait nul inconvénient, parce que les angles du chapiteau corinthien antique n’avaient rien à porter, et qu’on ne craignait pas, par conséquent, qu’une charge supérieure les fît casser. Mais toute autre est la fonction du chapiteau du XIIIe siècle ; les angles de son tailloir sont utiles, ils reçoivent la charge considérable des sommiers des arcs ; il était donc important de leur donner la plus grande solidité.

Nous avons vu qu’à Saint-Leu d’Esserent (voy. fig. 21), dès les dernières années du XIIe siècle, on avait adopté une corbeille circulaire dont le bord supérieur n’excédait pas les côtés du tailloir, et que les angles en porte-à-faux de ce tailloir n’étaient supportés que par des crochets auxquels on avait dû (à cause de ce porte-à-faux) donner un volume exagéré. Lorsqu’on voulut que les chapiteaux prissent un galbe plus élégant, une apparence moins écrasée, et qu’on sculpta des crochets d’angles plus fins,

  1. On désigne par corbeille, dans le chapiteau, l’évasement qui sert de transition entre le fût et le tailloir, évasement autour duquel vient se grouper la sculpture.