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dans les parties des édifices le moins en vue. Les corporations laïques d’artisans ou d’artistes qui, à la fin du XIIe siècle, étaient à l’origine de leur puissance, avaient cette intelligence des corps qui s’organisent dans le but de produire et de progresser ; elles ne cherchaient pas à monopoliser les œuvres d’art entre les mains de quelques hommes dans un intérêt personnel ; elles favorisaient, au contraire, les innovations, et les patrons étaient débordés et supplantés par leurs apprentis devenus rapidement plus hardis et plus habiles. Les corporations, pour tout dire en un mot, étaient des corps et non des coteries[1].

Dans le même monument, la cathédrale de Paris, nous voyons les chapiteaux des piles séparant les deux collatéraux déjà combinés pour recevoir exactement les retombées des différents arcs des voûtes. Mais nous reviendrons tout à l’heure sur les fonctions si bien écrites du chapiteau appartenant à la période ogivale.

Pour faire ressortir l’influence exercée par la nature des matériaux employés, sur la sculpture des chapiteaux, nous présenterons un exemple tiré du tour du chœur de la grande église de Mantes, contemporaine du chœur de Notre-Dame de Paris, et qui paraît avoir été élevée par les mêmes maîtres. Les murs du sanctuaire de l’église de Mantes sont portés sur des colonnes en grès qui n’ont pas plus de 0,50 c. de diamètre. Pour résister à la charge supérieure, les chapiteaux durent être également sculptés dans un grès très-résistant, difficile à travailler et qu’il eût été dangereux de trop évider ; ils devaient encore présenter un évasement considérable pour recevoir, sur le lit supérieur du tailloir, le sommier de deux archivoltes, de deux arcs ogives, d’un arc doubleau, et le départ de la colonnette montant jusqu’à la naissance des voûtes hautes. Afin d’éviter les brisures qui pouvaient se manifester aux angles de ces chapiteaux très-évasés, il fallait que ces angles fussent soutenus par la sculpture entourant la corbeille, que cette sculpture formât comme un encorbellement reportant la charge d’un large sommier sur un fût très-mince. Les sculpteurs résolurent exactement ce problème, ainsi que le fait voir la fig. 28. A est l’arc doubleau du collatéral. La composition de ce chapiteau a cela d’étrange que, sur quatre volutes d’angles, deux se retournent dans un sens, deux dans l’autre, mais toutes quatre sont fortement épaulées sous le retroussis. Cette méthode avait déjà été employée, quelques années auparavant, autour du chœur de l’église de Saint-Denis, pour les chapiteaux des colonnes monocylindriques qui datent de la construction de Suger, et qui portent les culées des arcs-boutants reconstruits au XIIIe siècle. Il est donc facile de reconnaître qu’au

  1. Si des faits ne paraissent pas une preuve suffisante en faveur de notre opinion, on peut consulter les Règlements d’Étienne Boileau ; on y verra avec quelle sollicitude ils s’occupent de l’apprenti : s’ils obligent celui-ci à rester auprès de son patron, ils veulent que le patron lui donne un travail assuré. Un labeur constant entre les mains de jeunes gens devait naturellement amener des progrès rapides, et il était de l’intérêt du patron de l’encourager.