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avaient élevées, nos cathédrales apparaissent, au milieu de nos villes populeuses, comme de grands cercueils ; cependant elles inspirent toujours aux populations un sentiment de respect inaltérable ; à certains jours de solennités publiques, elles reprennent leur voix, une nouvelle jeunesse, et ceux mêmes qui répétaient, la veille, sous leurs voûtes, que ce sont là des monuments d’un autre âge sans signification aujourd’hui, sans raison d’exister, les trouvent belles encore dans leur vieillesse et leur pauvreté[1].

CAVALIER, s. m. On désigne ainsi un ouvrage en terre élevé au milieu des bastions ou boulevards, pour en doubler le feu et commander la campagne. Ce n’est guère qu’au XVIe siècle que l’on eut l’idée d’exécuter ces ouvrages pour renforcer des points faibles ou pour dominer des fronts. On en exécuta beaucoup, pendant les guerres de siège de cette époque, en dedans des anciens fronts fortifiés du moyen âge, et on leur donnait alors généralement le nom de plate-forme ; ils présentaient comme une

  1. Un jour quelqu’un nous dit, en parcourant l’intérieur de Notre-Dame d’Amiens : « Oui, c’est fort beau : mais c’est folie de vouloir conserver, quand même, ces monuments d’un autre âge qui ne disent plus rien aujourd’hui ; vous pourrez galvaniser ces grands corps ; la manie de l’archéologie et du gothique leur donnera quelques années d’existence de plus ; mais, cette mode passée, ils tomberont dans l’oubli, au milieu de populations qui ont besoin de chemins de fer, d’écoles, de marchés, d’abattoirs, de tout, enfin, ce qui est nécessaire à la vie journalière. » À quelques jours de là, une grande solennité publique appelait dans la cathédrale un immense concours de monde ; elle était parée de quelques maigres tentures, son chœur étincelait de lumières. Notre interlocuteur ne se souvenait plus de son discours précédent ; il s’écriait alors : « Vraiment, c’est bien là le monument de la cité ; tout ce qu’on peut faire pour donner de l’éclat à une cérémonie publique n’a jamais cet aspect imposant du vieux monument qui appelle toute la population de la ville sous ses voûtes. Voyez comme cette foule donne la vie à ce grand vaisseau si bien disposé pour la contenir ! Combien d’illustres personnages ont abrités ces arceaux ! Quelle idée merveilleuse d’avoir voulu et su élever la cathédrale comme un témoin éternel de tous les grands événements d’une cité, d’un pays ; d’avoir fait que ce témoin vit, parle, en présentant au peuple ces exemples tirés de l’histoire de l’humanité, ou plutôt du cœur humain ! » Pour un peu, notre interlocuteur, entraîné par la grandeur du sujet, nous eût accusé de froideur. Telle est aujourd’hui la cathédrale française : aimée au fond du cœur par les populations ; tour à tour flattée et honnie par ceux qui sont charmés de s’en servir, mais qui ne songent guère à la conserver ; occupée par un clergé sans ressources, et souvent insouciant ; énigme pour la plupart, dernier vestige des temps d’ignorance, de superstition et de barbarie pour quelques-uns, texte de phrases creuses pour ces rêveurs, amateurs de poésie nébuleuse, qui ne voient qu’ogives élancées vers le ciel, dentelles de pierre, sculpture mystérieuse ou fantastique, dans des monuments où tout est méthodique, raisonné, clair, ordonné et précis ; où tout a sa place marquée d’avance, et retrace l’histoire morale de l’homme, les efforts persévérants de son intelligence contre la force matérielle et la barbarie, ses épreuves et son dernier refuge dans un monde meilleur.