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musique et l’architecture ; ils s’expliquent l’un par l’autre ; ils ne procèdent ni l’un ni l’autre de l’imitation de la nature ; ils créent. Pour créer, il faut calculer, prévoir, construire. Le musicien qui seul, sans instruments, sans articuler un son, entend, la plume à la main et le papier réglé devant lui, la composition harmonique la plus compliquée, qui calcule et combine l’effet des sons simultanés ; l’architecte qui, à l’aide d’un compas et d’un crayon, trace des projections sur sa planchette, et voit, dans ces tracés géométriques et dans des chiffres, tout un monument, les effets des pleins et des vides, de la lumière et des ombres ; qui prévoit, sans avoir besoin de les peindre, les mille moyens d’élever ce qu’il conçoit ; tous deux, musicien et architecte, sont bien forcés de soumettre l’inspiration au calcul. Les peuples primitifs trouvent tous des mélodies ; c’est la création d’instinct, l’épanchement extérieur par les sons d’un sentiment ; mais à notre civilisation moderne seule appartient l’harmonie ; c’est la création voulue, préméditée, calculée, raisonnée de l’homme qui est tourmenté par l’éternel « Pourquoi ? » qui cherche, travaille, et veut, en produisant un effet, en obtenant un résultat, que son labeur paraisse, qu’on apprécie les efforts de sa raison et la science qu’il lui a fallu déployer pour créer… Vanité !… soit ; mais plus l’homme mordra au fruit de l’arbre de la science, plus sa vanité croîtra ; peut-être (Dieu veuille que nous nous trompions !) le jour n’est-il pas éloigné où l’amour de l’art sera remplacé par la vanité de l’art.

L’architecture grecque est une mélodie rhythmée ; mais ce n’est qu’une mélodie, admirable, nous en tombons d’accord. Enlevez d’une mélodie un membre, ce qui restera n’en sera pas moins un fragment de mélodie ; enlevez un ordre d’un temple grec, ce sera toujours un ordre que vous pourrez appliquer à un palais, à une maison, à un tombeau. D’un morceau d’harmonie, d’une symphonie, retirez une partie, il ne reste rien, puisque l’harmonie n’est telle que par la simultanéité des sons.

De même, dans un édifice ogival, toutes les parties se tiennent ; elles n’ont adopté certaines formes que par suite d’un accord d’ensemble. La lecture de ce Dictionnaire le prouverait ; nous ne pouvons nous occuper d’un détail de l’architecture ogivale, et expliquer sa fonction, qu’en indiquant sa place, les circonstances qui ont imposé sa forme, sa raison d’être, indépendamment du goût de l’artiste ou du style dominant. Le même souffle moderne qui faisait substituer l’harmonie à la mélodie dans la musique, faisait, au XIIe siècle, remplacer, dans l’architecture, les traditions plus ou moins corrompues de l’art antique, par une succession de combinaisons soumises à un principe absolu. Les cathédrales sont le premier et le plus grand effort du génie moderne appliqué à l’architecture, elles s’élèvent au centre d’un ordre d’idées opposé à l’ordre antique. Et, pendant qu’on les construisait, les études de la philosophie grecque, du droit romain, de l’administration romaine, étaient en grande faveur.

Au XIIe siècle, l’esprit moderne prit à l’antiquité certains principes de vérité éternelle pour se les approprier et les transformer. Au XVIe siècle, on