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évêque voulait une cathédrale vaste, promptement élevée, qui pût rivaliser avec celles des diocèses voisins, et ses ressources étaient proportionnellement minimes ; il n’entendait pas qu’on enfouît sous le sol une grande partie de ces sommes réunies à grande peine, il fallait paraître ; le maître de l’œuvre se contentait de jeter, dans des tranchées mal faites, du mauvais moellon que l’on pilonnait ; puis il élevait à la hâte, sur cette base peu résistante, un grand édifice. Habile encore dans son imprudence, il achevait son œuvre.

Ces derniers monuments ne sont pas les moins intéressants à étudier, car ils prouvent, beaucoup mieux que ceux élevés avec luxe, deux choses : la première, c’est que le nouveau système d’architecture adopté par l’école laïque se prêtait à ces imperfections d’exécution, et pouvait, à la rigueur, se passer de précautions regardées comme nécessaires ; la seconde, que, dans des cas pareils, les maîtres des œuvres du moyen âge arrivaient, par des artifices de construction qui dénotent une grande subtilité et beaucoup d’adresse, à élever à peu de frais des édifices vastes et d’une grande apparence. Si ces édifices tombent aujourd’hui, s’ils ont subi des altérations effrayantes, ils n’en ont pas moins duré six siècles ; les évêques qui les ont bâtis ont obtenu le résultat auquel ils tendaient : eux et leurs successeurs les ont vus debout.

Parmi les cathédrales qui furent construites dans des conditions aussi défavorables, il faut citer en première ligne la cathédrale de Troyes. Le chœur et les transsepts de la cathédrale de Troyes, dont nous présentons le plan (25), appartiennent, par leurs dimensions, à un monument du premier ordre. Le vaisseau principal n’a pas moins de 14m50 d’axe en axe ; or, que l’on compare le plan du chœur de la cathédrale de Troyes avec celui du chœur de la cathédrale de Reims, par exemple, qui, dans œuvre, est à peu près de la même dimension comme largeur ; quelle énorme différence de cube de matériaux à rez-de-chaussée, entre ces deux édifices. L’architecte de la cathédrale de Troyes a établi ce vaste monument sur des fondations composées uniquement de mauvais sable et de débris de craie ; mais, avec une connaissance parfaite du défaut de sa construction, il a cherché à reporter ses pesanteurs sur le milieu du chœur, en donnant aux piliers intérieurs une assiette comparativement large, et aux contreforts extérieurs un volume moindre que dans les édifices analogues. Il espérait ainsi, en ne chargeant pas le périmètre de son monument, éviter le déversement que devait nécessairement produire le poids des contreforts, augmenté de la poussée des grandes voûtes. Il va sans dire qu’il ne réussit qu’imparfaitement dans l’exécution. Malgré leur peu de pesanteur, les contreforts extérieurs se déversèrent sous la pression oblique des arcs-boutants, et, au XIVe siècle, il fallut déjà prendre des mesures pour arrêter les fâcheux effets causés par le vice radical de la construction de la cathédrale de Troyes. Ce n’est pas seulement dans les fondations que l’on remarque l’extrême parcimonie avec laquelle la partie orientale de cet édifice fut élevée ; en élévation, tous les membres résistants