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contreforts par des gargouilles[1]. Il est difficile de voir une construction plus simple et plus économique, eu égard à sa dimension et à l’effet qu’elle produit.

Dans les parties hautes du chœur de la cathédrale d’Amiens, on voulut pousser le principe si simple, adopté pour la nef, aux dernières limites, et on dépassa le but. Lorsque la construction de l’œuvre haute du chœur fut reprise après une interruption de près de vingt ans, on avait déjà, dans l’église de l’abbaye de Saint-Denis, dans les cathédrales de Troyes et même de Beauvais, adopté le système des galeries de premier étage à claire voie prenant des jours extérieurs. Le triforium se trouvait ainsi participer des grandes fenêtres supérieures et prolongeait leurs ajours et leur riche décoration de verrières jusqu’au niveau de l’appui de la galerie. Ce parti était trop séduisant pour ne pas être adopté par l’architecte du haut chœur d’Amiens.

Mais examinons d’abord le plan de cette partie de l’édifice, qui sortait de terre seulement un peu avant 1240, c’est-à-dire au moment où l’on commençait aussi la Sainte-Chapelle du Palais à Paris[2]. On reconnaît, dans le plan du chœur de Notre-Dame d’Amiens, une main savante ; là, plus de tâtonnements, d’incertitudes ; aussi, nos lecteurs ne nous sauront pas mauvais gré de leur faire connaître la façon de procéder employée par le troisième maître de l’œuvre de la cathédrale d’Amiens, Renault de Cormont, pour tracer le rez-de-chaussée du plan de l’abside. Soit A B la ligne de base de la moitié de l’abside (fig. 21) ; les espaces A C, C B les écartements des axes des rangées de piles ; soit la ligne A X l’axe longitudinal du vaisseau. Sur cette ligne d’axe, le traceur a commencé par poser le centre O à 2m,50 de la ligne A B ; les deux cercles C E, B D ont été tracés en prenant comme rayons les lignes O C, O B. L’arc de cercle, dont B O est la moitié, a été divisé en sept parties égales ; le rayon F O prolongé a été tiré ; ce rayon vient couper l’arc C E au point d’intersection du prolongement de l’axe C C′ ; et, passant par le centre O, rencontre le point correspondant à C. Comment le traceur aurait-il obtenu ce résultat ? Est-ce par des tâtonnements ou par un moyen géométrique ? Les côtés B F G H n’appartiennent pas à un polygone divisant le cercle en parties égales. Il y a lieu de croire que c’est le tracé primitif de l’abside qui a commandé l’ouverture de la nef principale, et que Renault de Cormont n’a fait que suivre, quant à la plantation de cette abside, ce que ses prédécesseurs avaient tracé sur l’épure[3]. Si le tracé de l’abside n’avait pas commandé l’espace A C, le

  1. Il est entendu que nous parlons ici de la nef de la cathédrale d’Amiens telle qu’elle existait avant la construction des chapelles du XIVe siècle. Cette adjonction laisse d’ailleurs voir toute la disposition ancienne, et à l’intérieur, dans le transsept, les fenêtres des bas-côtés sont restées en place.
  2. L’architecture des chapelles absidales de la cathédrale d’Amiens a la plus grande ressemblance avec celle de la Sainte-Chapelle de Paris. Ce sont les mêmes profils, les mêmes meneaux de fenêtres, le même système de construction. L’arcature de la Sainte-Chapelle basse reproduit celle des chapelles du tour du chœur d’Amiens.
  3. Il faut se rappeler que la nef était entièrement élevée lorsque le chœur était à peine commencé.