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que de citer M. Vitet[1], pour expliquer la forme de ce plan et le mélange prononcé du plein cintre et de l’ogive dans cette église déjà toute ogivale comme construction :

« Lorsque Beaudoin II entreprit la reconstruction de sa cathédrale, il existait à Noyon une commune depuis longtemps établie, et consacrée par une paisible jouissance, mais placée en quelque sorte sous la tutelle de l’évêque. C’est le reflet de cette situation que nous présente l’architecture de l’église. Le nouveau style avait déjà fait trop de chemin à cette époque pour qu’il ne fût pas franchement adopté, surtout dans un édifice séculier et dans une ville en possession de ses franchises ; mais en même temps le pouvoir temporel de l’évêque avait encore trop de réalité pour qu’il ne fût pas fait une large part aux traditions canoniques. Nous ne prétendons pas que cette part ait été réglée par une transaction explicite, ni même qu’il soit intervenu aucune convention à ce sujet : les faits de ce genre se passent souvent presque à l’insu des contemporains. Que de fois nous agissons sans nous douter que nous obéissons à une loi générale ; et cependant cette loi existe, c’est elle qui nous fait agir, et d’autres que nous viendront plus tard en signaler l’existence et en apprécier la portée. C’est ainsi que l’évêque et les chanoines, tout en confiant la conduite des travaux à quelque maître de l’œuvre laïque, parce que le temps le voulait ainsi, tout en le laissant bâtir à sa mode, lui auront recommandé de conserver quelque chose de l’ancienne église, d’en rappeler l’aspect en certaines parties, et de là tous ces pleins cintres dont l’extérieur de l’édifice est percé, de là ces grandes arcades circulaires qui lui servent de couronnement tant au dedans qu’au dehors. Il est vrai que les profils déliés de ces arcades les rendent aussi légères que des ogives ; l’obéissance de l’artiste laïque ne pouvait pas être plus complète ; elle consistait dans la forme et non pas dans l’esprit.

« C’est encore pour complaire aux souvenirs et aux prédilections des chanoines que le plan semi-circulaire des transsepts aura été maintenu : la vieille église avait probablement ses bras ainsi arrondis, suivant l’ancien type byzantin. Mais tout en conservant cette forme, on semble avoir voulu racheter l’antiquité du plan par un redoublement de nouveauté dans l’élévation. Remarquez en effet que ces transsepts en hémicycles sont percés de deux rangs de fenêtres à ogive, tandis que, dans la nef, bien qu’elle soit évidemment postérieure, toutes les fenêtres sont à plein cintre.

« Il est très-probable aussi que la forme arrondie de ces deux transsepts a été conservée en souvenir de la cathédrale de Tournay, cette sœur de notre cathédrale. À Tournay, en effet, les deux transsepts byzantins subsistent encore aujourd’hui dans leur majesté primitive, avec leur ceinture de hautes et massives colonnes. En 1153, la séparation des deux sièges n’était prononcée que depuis sept années. La mémoire de ces

  1. Monog. de l’égl. N.-D. de Noyon, par M. L. Vitet, 1845.