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des deux galeries étagées, l’une au-dessus du second bas-côté donnant dans le premier bas-côté, l’autre au-dessus des voûtes de ce premier bas-côté donnant dans la nef centrale. C’était là un moyen de ménager des vues sur le milieu du vaisseau, et de permettre à de nombreux spectateurs de voir ce qui se passait dans la grande nef. Ne perdons pas de vue que les cathédrales n’étaient pas, au XIIIe siècle, seulement destinées au culte ; on y tenait des assemblées, on y discutait, on y représentait des mystères, on y plaidait, on y vendait, et les divertissements profanes n’en étaient pas exclus[1], par exemple, la fête des Innocents à Laon, qui se célébrait le 28 décembre ; la fête des Fous, etc. ; ces farces furent difficilement supprimées, et nous les voyons encore persister pendant le XVe siècle.

Mais les dispositions particulières à la cathédrale de Bourges nous ont fait sortir de la voie chronologique, dans laquelle il est nécessaire de revenir pour mettre de l’ordre dans notre sujet.

En 1131, un incendie terrible détruit la ville de Noyon et sa cathédrale. L’évêque Simon, qui occupait alors le siège épiscopal de Noyon, n’était pas en état de réparer le désastre ; ses finances étaient épuisées par la construction de l’abbaye d’Ourscamp ; alors, le mouvement qui, quelques années plus tard, allait porter le haut clergé séculier et les fidèles à élever des cathédrales sur de vastes plans, n’était pas prononcé. Le successeur de Simon, Beaudoin II, prélat rempli de prévoyance, prudent, régulier, sut administrer son diocèse avec autant de sagesse que d’énergie ; il était lié d’amitié avec saint Bernard, honoré de la confiance et de la faveur de Suger. Dans son excellente notice archéologique sur Notre-Dame de Noyon, M. Vitet croit devoir faire remonter la construction de cette église, telle que nous la voyons aujourd’hui, à l’épiscopat de Beaudoin ; non-seulement nous partageons l’opinion émise par M. Vitet, mais nous serons plus affirmatif que lui, car nous appuierons ses preuves historiques de preuves plus sûres encore, tirées de l’examen du monument même. Nous venons de dire que Suger honorait l’évêque Beaudoin d’une confiance particulière, et Suger était, comme chacun sait, fort préoccupé de la construction des églises ; il fit rebâtir entièrement celle de son abbaye, et les portions qui nous restent de ces constructions ont un caractère remarquable pour l’époque où elles furent élevées. Elles font un grand pas vers le système ogival ; elles abandonnent presque entièrement la tradition romane. Qui Suger employa-t-il pour élever l’église abbatiale de Saint-Denis ? cela nous serait difficile à savoir. L’illustre abbé et ses successeurs

  1. Ces usages ne furent guère abolis qu’à la fin du XIIIe siècle. Jean de Courtenai, archevêque de Reims, donna, en 1260, des lettres de réformation pour la cathédrale de Laon, dans lesquelles on lit ce passage : « Ecclesiam quoque, quæ domus orationis esse debet, locum negociationis fieri prohibemus, nec in eadem rerum quarumlibet merces vendi, causas audiri vel decidi volumus, seu mundana celebrari : imo mundanis exclusis negotiis, solum ibidem divinum negotium fiat. » Cartul. Laudun., Essai sur l’égl. de N.-D. de Laon, par J. Marion, 1843.