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tabernacles ni retables[1]. La cathédrale du monde chrétien, Saint-Pierre de Rome, conserve encore le siège du prince des apôtres enfermé dans une chaire de bronze, au fond de l’abside. C’était dans les églises cathédrales, dans ce lieu réservé à la cathedra, que les évêques faisaient les ordinations. Lorsque ceux-ci étaient invités par l’abbé d’un monastère, on plaçait une cathedra au fond du sanctuaire. Ce jour-là, l’église abbatiale était cathédrale. Le siège épiscopal était et est encore le signe, le symbole de la juridiction des évêques. La juridiction épiscopale est donc le véritable lien qui unit la basilique antique à l’église chrétienne. La cathédrale n’est pas seulement une église appropriée au service divin, elle conserve, et conservait bien plus encore pendant les premiers siècles du christianisme, le caractère d’un tribunal sacré ; et comme alors la constitution civile n’était pas parfaitement distincte de la constitution religieuse, il en résulte que les cathédrales sont restées longtemps, et jusqu’au XIVe siècle, des édifices à la fois religieux et civils. On ne s’y réunissait pas seulement pour assister aux offices divins, on y tenait des assemblées qui avaient un caractère purement politique ; il va sans dire que la religion intervenait presque toujours dans ces grandes réunions civiles ou militaires.

Jusqu’à la fin du XIIe siècle, les cathédrales n’avaient pas des dimensions extraordinaires ; beaucoup d’églises abbatiales étaient d’une plus grande étendue ; c’est que, jusqu’à cette époque, le morcellement féodal était un obstacle à la constitution civile des populations ; l’influence des évêques était gênée par ces grands établissements religieux du XIe siècle. Propriétaires puissants, jouissant de privilèges étendus, seigneurs féodaux, protégés par les papes, tenant en main l’éducation de la jeunesse, participant à toutes les grandes affaires politiques, les abbés attiraient tout à eux, richesse et pouvoir, intelligence et activité. Lorsque les populations urbaines, instruites, enrichies, laissèrent paraître les premiers symptômes d’émancipation, s’érigèrent en communes, il se fit une réaction contre la féodalité monastique et séculière dont les évêques, appuyés par la monarchie, profitèrent avec autant de promptitude que d’intelligence. Ils comprirent que le moment était venu de reconquérir le pouvoir et l’influence que leur donnait l’Église, et qui étaient tombés en partie entre les mains des établissements religieux. Ce que les abbayes firent pendant le XIe siècle, les évêques n’eussent pu le faire ; mais, au XIIe siècle, la tâche des établissements religieux était remplie ; le pouvoir monarchique avait grandi, l’ordre civil essayait ses forces et voulait se constituer. C’est alors que l’épiscopat entreprit de reconstruire et reconstruisit ses cathédrales ; et il trouva dans les populations un concours tellement énergique, qu’il dut s’apercevoir que ses prévisions étaient justes, que son temps était venu, et que l’activité développée par les établissements religieux, et dont ils

  1. À Lyon, le trône épiscopal occupait encore, il y a un siècle, le fond de l’abside de la cathédrale, et l’autel était dépourvu de tout ornement au-dessus de la table ; une croix et deux flambeaux devaient seuls y être placés.