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emportait dans les voyages. Aussi l’Ordre romain les appelle-t-il tabulas itinerarias. Les inventaires des trésors d’églises font mention fréquemment d’autels portatifs.

Sur les tables d’autels fixes, il était d’usage, dès avant le IXe siècle, d’incruster des propitiatoires, qui étaient des plaques d’or ou d’argent sur lesquelles on offrait le saint sacrifice. Anasthase le Bibliothécaire dit, dans sa Vie du pape Pascal I, que ce souverain pontife fit poser un propitiatoire en argent sur l’autel de Saint-Pierre de Rome, un sur l’autel de l’église de Sainte-Praxède, sur les autels de Sainte-Marie de Cosmedin, de la basilique de Sainte-Marie-Majeure. Le pape Léon IV fit également faire un propitiatoire pesant 72 livres d’argent et 80 livres d’or pour l’autel de la basilique de Saint-Pierre.

Les autels primitifs, qu’ils fussent de pierre, de bois ou de métal, étaient creux. L’autel d’or dressé par l’archevêque Angelbert dans l’église de Saint-Ambroise de Milan était creux, et l’on pouvait apercevoir les reliques qu’il contenait par une ouverture percée par derrière[1].

L’évêque Adelhelme, qui vivait à la fin du IXe siècle, raconte qu’un soldat du roi Bozon, qui était devenu aveugle, recouvra la vue en se glissant sous l’autel de l’église de Mouchi-le-Neuf du diocèse de Paris, pendant que l’on célébrait la messe. Les monuments viennent à cet égard appuyer les textes nombreux que nous croyons inutile de citer[2] ; les autels les plus anciens connus sont généralement portés sur une ou plusieurs colonnes[3] (1 et 2). La plupart des autels grecs étaient portés sur une seule colonne. L’usage des autels creux ou portés sur des points d’appui isolés s’est conservé jusqu’au XVe siècle. L’autel n’était considéré jusqu’alors que comme une table sous laquelle on plaçait parfois de saintes reliques, ou qui était élevée au-dessus d’une crypte renfermant un corps saint, car à vrai dire les reliquaires étaient plutôt, pendant le moyen âge, posés, à certaines occasions, sur l’autel que dessous[4]. Il n’existe plus, que nous sachions, en

  1. Ughellus, t. IV
  2. Voy. Dissert. ecclés. sur les princip. autels des églises, par J. B. Thiers, Paris, 1688. Nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer nos lecteurs à ce curieux ouvrage, plein de recherches savantes.
  3. La figure (1) donne l’autel de la chapelle de la Vierge de l’église de Montréal (Bourgogne) ; cet autel est du XIIe siècle. La figure (2) ; le maître autel de l’église de Bois-Sainte-Marie (Saône-et-Loire) ; cet autel est du XIe siècle. A est le socle avec l’incrustement des colonnettes ; B le chapiteau de la colonnette centrale ; C la base d’une des quatre colonnes. Nous devons ce dessin à l’obligeance de M. Millet, l’architecte de la curieuse église de Bois-Sainte-Marie.
  4. « Rien ne nous porte à croire, dit Thiers dans ses Dissertat. sur les principaux autels des églises (p. 42), qu’on ait mis des reliques des saints sur les autels avant le IXe siècle ; nul canon, nul décret, nul règlement, nul exemple, nul témoignage des écrivains ecclésiastiques, ne nous le persuade ; ou, si l’on y en a mis, les saints de qui elles étoient s’en sont offensés et les ont fait ôter… Dans le Xe siècle même, quelques saints ont cru qu’il y avoit de l’irrévérence à mettre leurs reliques sur les autels. En