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des étages, et dans les angles de la tour ; de cette façon ces vis sont sans fin, car lorsqu’elles quittent les écrous d’un étage inférieur, elles sont déjà engagées dans les écrous du dernier étage posé ; des trous percés dans le corps de ces vis permettent à six hommes au moins de virer à chacune d’elles au moyen de barres, comme à un cabestan. Au fur et à mesure que le comble s’élève, les maçons le calent sur plusieurs points et s’arasent. Aux extrémités des solives du comble sont suspendues les nattes de câbles pour abriter les travailleurs. Quant au rat ou galerie destinée à permettre aux pionniers de saper à couvert le pied des murailles des assiégés, sa description est assez claire et détaillée pour n’avoir pas besoin de commentaires.

Protéger les travaux des mineurs, posséder près des murailles attaquées un réduit considérable, bien muni, propre à contenir un poste nombreux destiné à couvrir les parapets de projectiles et à prendre en flanc les détachements qui tentaient des sorties, telle était la fonction de la bastille romaine, que nous voyons employée, avec des moyens moins puissants, il est vrai, aux sièges d’Alésia et de Bourges. Là ce ne sont que des ouvrages en terre en forme de fer à cheval, avec fossés et palissades, sortes de barbacanes destinées à permettre à des corps de troupes de sortir en masse sur le flanc des assaillants jetés sur les lignes. Il va sans dire que ces bastides étaient garnies de machines de jet propres soit à battre les tours de la place assiégée, soit à enfiler les fossés des lignes de circonvallation et de contrevallation.

Ce système est également appliqué dès les premiers temps du moyen âge par les armées assiégeantes et assiégées pour battre les remparts et défendre des points faibles, ou plutôt il ne cesse d’être employé ; car vaincre un ennemi c’est l’instruire, et les Romains, en soumettant les barbares, leur enseignaient l’art de la guerre. Charles le Chauve, pour empêcher les Normands de remonter la Seine, avait fait élever à Pistes, aux deux extrémités d’un pont, qui est probablement le Pont-de-l’Arche, deux forts, véritables bastilles. Dans l’enceinte de l’abbaye de Saint-Denis, le même prince, en 866, afin de mettre le monastère, à l’abri d’un coup de main, fit élever une petite bastide qui suffit pour empêcher les Normands de s’emparer désormais de ce poste. À la même époque, les ponts situés aux embouchures de la Marne et de l’Oise, à Charenton et à Auvers, furent également munis de bastides[1]. Toutefois, si les textes font mention d’ouvrages de ce genre pendant l’époque carlovingienne, si quelques vignettes de manuscrits représentent des bastides, nous ne connaissons aucun monument qui donne une idée aussi nette de la construction d’une bastide offensive que le texte de César précité. Nous en sommes réduits à constater simplement que ces ouvrages sont généralement élevés en bois, qu’ils affectent de préférence la forme carrée, qu’ils sont à plusieurs étages avec plate-forme pour le jeu des machines, et crénelages pour garantir les

  1. Voy. Hist. des expéd. marit. des Normands, par M. Depping. Paris, 1844.