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L’emploi de l’arc-boutant dans les grands édifices exige une science approfondie de la poussée des voûtes, poussée qui, comme nous l’avons dit plus haut, varie suivant la nature des matériaux employés, leur poids et leur degré de résistance. Il ne faut donc pas s’étonner si de nombreuses tentatives faites par des constructeurs peu expérimentés ne furent pas toujours couronnées d’un plein succès, et si quelques édifices périssent par suite du défaut d’expérience de leurs architectes.

Lorsque le goût dominant vers le milieu du XIIIe siècle poussa les constructeurs à élever des églises d’une excessive légèreté et d’une grande élévation sous voûtes, lorsque l’on abandonna partout le système des arcs-boutants primitifs dont nous avons donné des types (fig. 50, 52, 54), il dut y avoir, et il y eut en effet pendant près d’un demi-siècle, des tâtonnements, des hésitations, avant de trouver ce que l’on cherchait : l’arc-boutant réduit à sa véritable fonction. Les constructeurs habiles résolurent promptement le problème par des voies diverses, comme à Saint-Denis, comme à Beauvais, comme à Saint-Pierre de Chartres, comme à la cathédrale du Mans, comme à Saint-Étienne d’Auxerre, comme à Notre-Dame de Semur, comme aux cathédrales de Reims, de Coutances et de Bayeux, etc., tous édifices bâtis de 1220 à 1260 ; mais les inhabiles (et il s’en trouve dans tous les temps) commirent bien des erreurs jusqu’au moment où l’expérience acquise à la suite de nombreux exemples put permettre d’établir des règles fixes, des formules qui pouvaient servir de guide aux constructeurs novices ou n’étant pas doués d’un génie naturel. À la fin du XIIIe siècle, et pendant le XIVe, on voit en effet l’arc-boutant appliqué sans hésitation partout ; on s’aperçoit alors que les règles touchant la stabilité des voûtes sont devenues classiques, que les écoles de construction ont admis des formules certaines ; et si quelques génies audacieux s’en écartent, ce sont des exceptions.

Il existe en France trois grandes églises bâties pendant le XIVe siècle, qui nous font voir jusqu’à quel point ces règles sur la construction des voûtes et des arcs-boutants étaient devenues fixes : ce sont les cathédrales de Clermont-Ferrand, de Limoges et de Narbonne. Ces trois édifices sont l’œuvre d’un seul homme, ou au moins d’une école particulière, et bien qu’ils soient élevés tous trois au delà de la Loire, ils appartiennent à l’architecture du nord. Comme plan et comme construction, ces trois églises présentent une complète analogie ; ils ne diffèrent que par leur décoration ; leur stabilité est parfaite ; un peu froids, un peu trop soumis à des règles classiques, ils sont par cela même intéressants à étudier pour nous aujourd’hui. Les arcs-boutants de ces trois édifices (les chœurs seuls ont été construits à Limoges et à Narbonne) sont combinés avec un grand art et une connaissance approfondie des poussées des voûtes ; aussi dans ces trois cathédrales, très-légères d’ailleurs comme système de bâtisse, les piles sont restées parfaitement verticales dans toute leur hauteur, les voûtes n’ont pas une lézarde, les arcs-boutants ont conservé toute la pureté primitive de leur courbe.