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que leurs écus armoriés se furent montrés devant les infidèles, lorsque, revenus des champs de bataille de l’Orient, les chrétiens occidentaux rapportèrent avec eux ces armes peintes, ils durent les conserver autant comme un souvenir que comme une marque honorable de leurs hauts faits. De tout temps les hommes qui ont affronté des périls ont aimé conserver les témoins muets de leurs longues souffrances, de leurs efforts et de leurs succès. Les armes émaillées de couleurs variées, de figures singulières, portant la trace des combats, furent religieusement suspendues aux murailles des châteaux féodaux ; c’était en face d’elles que les vieux seigneurs racontaient leurs aventures d’outre-mer à leurs enfants, et ceux-ci s’habituaient à considérer ces écus armoyés comme un bien de famille, une marque d’honneur et de gloire qui devait être conservée et transmise de génération en génération. C’est ainsi que les armoiries, prises d’abord pour se faire reconnaître pendant le combat, devinrent héréditaires comme le nom et les biens du chef de la famille. Qui ne se rappelle avoir vu, après les guerres de la Révolution et de l’Empire, un vieux fusil rouillé suspendu au manteau de la cheminée de chaque chaumière ?

Les armoiries devenues héréditaires, il fallut les soumettre à de certaines lois fixes, puisqu’elles devenaient des titres de famille. Il fallut blasonner les armes, c’est-à-dire, les expliquer[1]. Ce ne fut toutefois que vers la fin du XIIe siècle que l’art héraldique posa ses premières règles[2] ; pendant le XIIIe siècle il se développa, et se fixa pendant les XIVe et XVe siècles. Alors la science du blason était fort en honneur ; c’était comme un langage réservé à la noblesse, dont elle était jalouse, et qu’elle tenait à maintenir dans sa pureté. Les armoiries avaient pendant le XIVe siècle pris une grande place dans la décoration, les étoffes, les vêtements ; c’est alors que les seigneurs et les gens de leurs maisons portaient des costumes armoyés. Froissart, dans ses chroniques, ne fait pas paraître un noble de quelque importance sans faire suivre son nom du blason de ses armes. Les romans des XIIIe et XIVe siècles, les procès-verbaux de fêtes, de cérémonies, sont remplis de descriptions héraldiques. Nous ne pouvons dans cet article que donner un aperçu sommaire de cette science, bien qu’elle soit d’une grande utilité aux architectes qui s’occupent d’archéologie. Faute d’en connaître

  1. Blasonner vient du mot allemand blasen (sonner du cor) : « C’était autrefois la « coutume de ceux qui se présentaient pour entrer en lice dans les tournois, de « notifier ainsi leur arrivée ; ensuite les hérauts sonnaient de la trompette, blasonnaient « les armes des chevaliers, les décrivaient à haute voix, et se répandaient « quelquefois en éloges au sujet de ces guerriers. » (Nouv. Méth. du blason, ou l’art hérald. du P. Ménestrier, mise dans un meill. ordre, etc., par M. L***. In-8o, Lyon, 1770.)
  2. « Louis le Jeune est le premier de nos rois qui soit représenté avec des fleurs « de lys à la main et sur sa couronne. Lorsqu’il fit couronner son fils, il voulut que « la dalmatique et les bottines du jeune prince fussent de couleur d’azur et semées de « fleurs de lys d’or. » (Ibid.)