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toute nation générale, de tout gouvernement central… Sous quels ennemis a succombé la féodalité ? qui l’a combattue en France ? Deux forces : la royauté, d’une part ; les communes, de l’autre. Par la royauté s’est formé en France un gouvernement central ; par les communes s’est formée une nation générale, qui est venue se grouper autour du gouvernement central[1]. » Le développement du système féodal est donc limité entre les Xe et XIVe siècles. C’est alors que la féodalité élève ses forteresses les plus importantes, qu’elle fait, pendant ses luttes de seigneur à seigneur, l’éducation militaire des peuples occidentaux. « Avec le XIVe siècle, ajoute l’illustre historien, les guerres changent de caractère. Alors commencent les guerres étrangères, non plus de vassal à suzerain ou de vassal à vassal, mais de peuple à peuple, de gouvernement à gouvernement. À l’avènement de Philippe de Valois, éclatent les grandes guerres des Français contre les Anglais, les prétentions des rois d’Angleterre, non sur tel ou tel fief, mais sur le pays et le trône de France ; et elles se prolongent jusqu’à Louis XI. Il ne s’agit plus alors de guerres féodales, mais de guerres nationales ; preuve certaine que l’époque féodale s’arrête à ces limites, qu’une autre société a déjà commencé. » Aussi le château féodal ne prend-il son véritable caractère défensif que lorsqu’il est isolé, que lorsqu’il est éloigné des grandes villes riches et populeuses, et qu’il domine la petite ville, la bourgade, ou le village. Alors il profite des dispositions du terrain avec grand soin, s’entoure de précipices, de fossés ou de cours d’eau. Quand il tient à la grande ville, il en devient la citadelle, est obligé de subordonner ses défenses à celles des enceintes urbaines, de se placer au point d’où il peut rester maître du dedans et du dehors. Pour nous faire bien comprendre en peu de mots, on peut dire que le véritable château féodal, au point de vue de l’art de la fortification, est celui qui, ayant d’abord choisi son assiette, voit peu à peu les habitations se grouper autour de lui. Autre chose est le château dont la construction étant postérieure à celle de la ville a dû subordonner son emplacement et ses dispositions à la situation et aux dispositions défensives de la cité. À Paris, le Louvre de Philippe Auguste fut évidemment construit suivant ces dernières données. Jusqu’au règne de ce prince, les rois habitaient ordinairement le palais sis dans la cité. Mais lorsque la ville de Paris eut pris un assez grand développement sur les deux rives, cette résidence centrale ne pouvait convenir à un souverain, et elle devenait nulle comme défense. Philippe Auguste en bâtissant le Louvre posait une citadelle sur le point de la ville où les attaques étaient le plus à craindre, où son redoutable rival Richard devait se présenter ; il surveillait les deux rives de la Seine en aval de la cité, et commandait les marais et les champs qui, de ce point, s’étendaient jusqu’aux rampes de Chaillot, et jusqu’à Meudon. En entourant la ville de murailles, il avait le soin de laisser son nouveau château, sa citadelle, en dehors de leur enceinte, afin de conserver toute sa liberté de

  1. Histoire de la civilisation en France, par M. Guizot. 2e part. 1re leçon.