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Nous ne nous sommes occupés que des établissements religieux qui eurent une influence directe sur leur temps, des institutions qui avaient contribué au développement de la civilisation ; nous avons dû passer sous silence un grand nombre d’ordres qui, malgré leur importance au point de vue religieux, n’exercèrent pas une action particulière sur les arts et sur les sciences. Parmi ceux-ci il en est un cependant que nous ne saurions omettre : c’est l’ordre des Chartreux, fondé à la fin du XIe siècle par saint Bruno. Alors que les clunisiens étaient constitués en gouvernement, étaient mêlés à toutes les affaires de cette époque, saint Bruno établissait une règle plus austère encore que celle de Cîteaux : c’était la vie cénobitique dans toute sa pureté primitive. Les chartreux jeûnaient tous les vendredis au pain et à l’eau ; ils s’abstenaient absolument de viande, même en cas de maladie, leur vêtement était grossier, et faisaient horreur à voir, ainsi que le dit Pierre le Vénérable au second livre des Miracles. Ils devaient vivre dans la solitude la plus absolue, le prieur et le procureur de la maison pouvant seuls sortir de l’enceinte du monastère ; chaque religieux était renfermé dans une cellule, à laquelle on ajouta un petit jardin vers le milieu du XIIe siècle.

Les chartreux devaient garder le silence en tous lieux, se saluant entre eux sans dire un mot. Cet ordre, qui conserva plus que tout autre la rigidité des premiers temps, avait sa principale maison à la Grande-Chartreuse, près Grenoble ; il était divisé en seize ou dix-sept provinces, contenant cent quatre-vingt-neuf monastères, parmi lesquels on en comptait quelques-uns de femmes. Ces monastères prirent tous le nom de chartreuses, et étaient établis de préférence dans des déserts, dans des montagnes, loin des lieux habités. L’architecture des chartreux se ressent de l’excessive sévérité de la règle ; elle est toujours d’une simplicité qui exclut toute idée d’art. Sauf l’oratoire et les cloîtres, qui présentaient un aspect monumental, le reste du couvent ne consistait qu’en cellules, composées primitivement d’un rez-de-chaussée avec un petit enclos de quelques mètres. À partir du XVe siècle seulement les arts pénétrèrent dans ces établissements, mais sans prendre un caractère particulier ; les cloîtres, les églises devinrent moins nus, moins dépouillés ; on les décora de peintures qui rappelaient les premiers temps de l’ordre, la vie de ses patriarches. Les chartreuses n’eurent aucune influence sur l’art de l’architecture ; ces couvents restent isolés pendant le moyen âge, et c’est à cela qu’ils durent de conserver presque intacte la pureté de leur règle. Cependant, dès le XIIIe siècle, les chartreuses présentaient, comparativement à ce qu’elles étaient un siècle auparavant, des dispositions presque confortables, qu’elles conservèrent sans modifications importantes jusque dans les derniers temps. Nous donnons le plan de la chartreuse de Clermont[1], modifiée en 1676 (27).

  1. Nous devons ce plan à l’obligeance de M. Mallay, architecte diocésain de Clermont-Ferrand, qui a bien voulu nous envoyer un calque de l’original. La grande