Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 1.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[arc]
— 288 —

breux aux couvents, et livrée dès le XIIIe siècle exclusivement à la carrière des armes, commençant à dédaigner la vie religieuse qui n’offrait plus qu’une existence intérieure et bornée, elle laissa bientôt ainsi les ordres monastiques tomber dans un état qui ressemblait passablement à celui de riches et paisibles propriétaires réunis en commun sous une discipline qui devenait de moins en moins rigide. Bientôt les abbés, considérés par le roi comme des seigneurs féodaux, ne pouvaient, comme tels, se mettre en dehors de l’organisation politique établie ; tant que les pouvoirs séculiers étaient divisés, il leur était possible, sinon facile, de maintenir et même d’accroître le leur ; mais quand ces pouvoirs féodaux vinrent se confondre dans la royauté basée sur l’unité nationale, la lutte ne pouvait durer, elle n’avait pas de but d’ailleurs, elle était contraire à l’esprit monastique qui n’avait fait que tracer la route aux pouvoirs pour arriver à l’unité. Les grands établissements religieux se résignèrent donc, et cessèrent de paraître sur la scène politique. L’ordre du Temple seul, par sa constitution, put continuer à jouer un rôle dans l’État, et à prendre une part active aux affaires extérieures ; réunissant les restes de la puissance des ordres religieux à la force militaire, il dut faire ombrage à la royauté, et l’on sait comment, au commencement du XIVe siècle, cette institution fut anéantie par le pouvoir monarchique.

L’influence de la vie militaire sur la vie religieuse se fait sentir dès le XIIIe siècle dans l’architecture monastique. Les constructions élevées par les abbés à cette époque se ressentent de leur état politique ; seigneurs féodaux, ils en prennent les allures. Jusqu’alors si les couvents étaient entourés d’enceintes, c’était plutôt des clôtures rurales que des murailles propres à résister à une attaque à main armée ; mais la plupart des monastères que l’on bâtit au XIIIe siècle perdent leur caractère purement agricole pour devenir des villes fortifiées, ou même de véritables forteresses, quand la situation des lieux le permet. Les abbayes de l’ordre de Cîteaux, érigées dans des vallées creuses, ne permettaient guère l’application d’un système défensif qui eût quelque valeur ; mais celles qui appartenaient à d’autres règles de l’ordre bénédictin, construites souvent sur des penchants de coteaux, ou même des lieux escarpés, s’entourent de défenses établies de façon à pouvoir soutenir un siège en règle ou au moins se mettre à l’abri d’un coup de main. Parmi les abbayes qui présentent bien nettement le caractère d’un établissement à la fois religieux et militaire, nous citerons l’abbaye du mont Saint-Michel en mer. Fondée, si l’on en croit les légendes, vers la fin du VIIIe siècle, elle fut à plusieurs reprises dévastée par les guerres et les incendies. En 1203, devenue vassale du domaine royal, elle fut presque totalement reconstruite par l’abbé Jourdain au moyen de sommes considérables que lui envoya Philippe Auguste ; les bâtiments nouveaux furent continués par les successeurs de cet abbé jusque vers 1260.

Le mont Saint-Michel est situé au fond d’une baie sablonneuse couverte chaque jour par l’Océan aux heures des marées, non loin de Pontorson et d’Avranches. C’était un point militaire important à cette époque où la