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pauvre colon. Cîteaux enlèvera des milliers de bras à la guerre pour remplir ses huit ou dix mille granges[1]. Ses travaux ne s’arrêteront pas là, son immortel représentant prêchera la seconde croisade ; Cîteaux défendra l’Europe contre les Maures d’Espagne, par la formation des ordres militaires de Calatrava, d’Alcantara, de Montesa. Les templiers demanderont des règlements à saint Bernard. Cîteaux, plus encore que Cluny, viendra au secours des pauvres, non-seulement par des aumônes, mais en employant leurs bras ; et ses dons sortis de monastères simples et austères d’aspect, répartis par des moines se livrant chaque jour aux travaux les plus rudes, paraîtront plus précieux en ce qu’ils ne sembleront pas l’abandon du superflu, mais le partage du nécessaire. Ce n’est pas sur les lieux élevés que se fondent les monastères cisterciens, mais dans les vallons marécageux, le long des cours d’eau : c’est là que la culture pourra fertiliser le sol en convertissant des marais improductifs en prairies arrosées par des cours d’eau ; c’est là que l’on pourra trouver une force motrice pour les usines, moulins, huileries, scieries, etc. Cîteaux, la Ferté, Clairvaux, Morimond, Pontigny, Fontenay, l’abbaye du Val, sont bâtis dans de creux vallons, et encore aujourd’hui, autour de ces établissements ruinés, on retrouve à chaque pas la trace des immenses travaux des moines, soit pour retenir les eaux dans de vastes étangs, soit pour les diriger dans des canaux propres aux irrigations, soit pour les amener dans des biefs de moulins. Comme exemple de ce que nous avançons ici, et pour donner une idée de ce qu’était, à la fin du XIIe siècle, un monastère cistercien, voici (5) le plan général de l’abbaye de Clairvaux, fondée par saint Bernard[2]. On remarquera tout d’abord que ce plan se divise en deux sections distinctes ; la plus importante, celle de l’est, renferme les bâtiments affectés aux religieux ; en A sont placés l’église et deux cloîtres dont nous donnons plus bas le détail ; en B des fours et moulins à grains et à huile ; en C la cellule de saint Bernard, son oratoire et son jardin religieusement conservés ; en E des piscines alimentées par l’étang ; en F le logement des hôtes ; en G la maison abbatiale, voisine de l’entrée et de l’hôtellerie ; en H des écuries ; en I le pressoir et grenier à foin ; en Y des cours d’eau ; et en S un oratoire. L’entrée principale de l’abbaye est en D. La section du plan située à l’ouest et séparée de la première par une muraille, comprend les dépendances et les logements des frères convers attachés à l’abbaye. T, est un jardin (promenoir). K, le parloir. L, des logements et ateliers d’artisans. M, la boucherie. N, des granges et étables. 0, des pressoirs publics.

  1. Cîteaux arriva promptement au nombre incroyable de deux mille maisons monastiques des deux sexes ; chaque maison possédait cinq ou six granges. (Histoire de l’abbaye de Morimond, par l’abbé Dubois, 2e édit., 1852 ; Annales de l’ordre de Cîteaux : Essai sur l’histoire de l’ordre de Cîteaux, par D. P. Le Nain, 1696.)
  2. Nous devons ce plan à l’obligeance de M. Harmand, bibliothécaire de la ville de Troyes, et de M. Millet, architecte de ce diocèse, qui a bien voulu nous en fournir un calque.