Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 1.djvu/269

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[arc]
— 250 —

de statuts, de règlements, de discipline. C’était une agrégation de monastères autour d’un seul, qui en devenait ainsi la métropole et la tête. Ce système fut bientôt compris et adopté par d’autres établissements monastiques, et notamment par Cîteaux, fondé en 1098. Conservant la règle de Saint-Benoît, ces agrégations ne différaient entre elles que par le centre d’autorité monastique, par les divers moyens imaginés pour maintenir l’esprit bénédictin, et par une plus ou moins grande austérité dans la discipline commune. Nulle ne se proposait, à vrai dire, une autre fin que celle de ses compagnes. Ce n’étaient point là proprement des différences d’ordres, mais seulement de congrégations. Partout la règle de Saint-Benoît demeurait sauve, et par là l’unité de l’ordre se maintenait intacte, malgré des rivalités qui éclatèrent plus tard[1]. »

Ces réformes étaient devenues bien nécessaires, car depuis longtemps les abbés et les moines avaient étrangement faussé la règle de Saint-Benoît. Pendant les invasions des Normands particulièrement, la discipline s’était perdue au milieu du désordre général, les abbayes étaient devenues des forteresses plus remplies d’hommes d’armes que de religieux ; les abbés eux-mêmes commandaient des troupes laïques, et les moines chassés de leurs monastères étaient obligés souvent de changer le froc contre la cotte de buffle[2]. Toutefois, si après les réformes de Cluny et de Cîteaux les abbés ne se mêlèrent plus dans les querelles armées des seigneurs laïques, ils ne cessèrent de s’occuper d’intérêts temporels, d’être appelés par les souverains non-seulement pour réformer des monastères, mais aussi comme conseillers, comme ministres, comme ambassadeurs. Dès avant les grandes associations clunisiennes et cisterciennes, on avait senti le besoin de réunir en faisceau certaines abbayes importantes. Vers 842, l’abbé de Saint Germain des Prés, Ébroïn et ses religieux avaient formé une association avec ceux de Saint-Remy de Reims. Quelque temps auparavant les moines de Saint-Denis en avaient fait autant. Par ces associations les monastères se promettaient une amitié et une assistance mutuelle tant en santé qu’en maladie, avec un certain nombre de prières qu’ils s’obligeaient de faire après la mort de chaque religieux des deux communautés[3]. Mais c’est sous saint Odon et saint Maïeul, abbés de Cluny, que la règle de Saint-Benoît réformée va prendre un lustre tout nouveau, fournir tous les hommes d’intelligence et d’ordre qui, pendant près de deux siècles, auront une influence immense dans l’Europe occidentale, car Cluny est le véritable berceau de la civilisation moderne.

Maïeul gouverna l’abbaye de Cluny pendant quarante ans, jusqu’en 994.

  1. Histoire de l’abbaye de Cluny, par M. P. Lorain.
  2. En 893, un abbé de Saint-Denis, Ebles, fut tué en Aquitaine d’un coup de pierre à l’attaque d’un château qu’il assiégeait comme capitaine d’une troupe de soldats. (Hist. de l’abb. de Saint-Denys, par D. Felibien, p. 100.)
  3. Hist. de l’abb. de Saint-Germain des Prez, par D. Bouillart. Paris, 1724, p. 30 ; in-fo.