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qu’il aura voulu attaquer, et que son entreprise criminelle ne produise aucun effet. Et que ce testament soit revêtu de toute autorité, et demeure à toujours ferme et inviolable dans toutes ses stipulations. Fait publiquement dans la ville de Bourges. »

Les imprécations contenues dans cet acte de donation contre ceux qui oseront mettre la main sur les biens des moines de Cluny, ou altérer leurs privilèges, font voir de quelles précautions les donateurs croyaient alors devoir entourer leur legs[1]. Le vieux duc Guillaume ne s’en tint pas là, il fit le voyage de Rome afin de faire ratifier sa donation, et payer à l’église des apôtres la redevance promise. Bernon, suivant la règle de Saint-Benoît, installa à Cluny douze moines de ses monastères, et éleva des bâtiments qui devaient contenir la nouvelle congrégation. Mais c’est saint Odon, second abbé de Cluny, qui mérite seul le titre de chef et de créateur de la maison. Odon descendait d’une noble famille franque ; c’était un homme profondément instruit, qui bientôt acquit une influence considérable : il fit trois voyages à Rome, réforma dans cette capitale le monastère de Saint-Paul-hors-les-murs ; il soumit également à la règle de Cluny les couvents de Saint-Augustin de Pavie, de Tulle en Limousin, d’Aurillac en Auvergne, de Bourg-Dieu et de Massay en Berry, de Saint-Benoît-sur-Loire, de Saint-Pierre-le-Vif à Sens, de Saint-Allire de Clermont, de Saint-Julien de Tours, de Sarlat en Périgord, de Roman-Moûtier dans le pays de Vaud ; il fut choisi comme arbitre des différends qui s’étaient élevées entre Hugues, roi d’Italie, et Albéric, patrice de Rome. Ce fut Odon qui le premier réalisa la pensée d’adjoindre à son abbaye, et sous l’autorité de l’abbé, les communautés nouvelles qu’il érigeait et celles dont il parvenait à réformer l’observance. « Point d’abbés particuliers, mais des prieurs seulement pour tous ces monastères ; l’abbé de Cluny seul les gouvernait : unité de régime,

  1. On avait toujours cru devoir employer ces sortes d’imprécations, car déjà, dès le VIIe siècle, dans un acte de donation d’une certaine Théodétrude à l’abbaye de Saint-Denis, on lit ce passage «…Propterea rogo et contestor coram Deo et Angelis ejus, omni nationi hominum tam propinquis quam extraneis, ut nullus contra deliberatione mea impedimentum sancto Dionysio de hac re quæ ad me per has litteras deputatum est facere præsumat. si fuerit qui minas suas ad hoc apposuerit faciendo, æternus Rex peccata mea absolvat, et ille maledictus in inferno interiori et Anathema et Maranatha percussus cum Juda cruciandus descendat, et peccatum quem amittit in filios et in domo sua crudelissima plaga ut leprose pro hujus culpa a Deo percussus, ut non sit qui inhabitet in domo ejus, ut eorum plaga in multis timorem concutiat, et quantum res ipsa meliorata valuerit, duplex, satisfactione fisco egenti exsolvat… » (Hist. de l’abb. de Saint-Denis, Félibien, pièces just., p. IV.) Dans une charte de Gammon pour le monastère de Limeux, en 697 (Annal. Bened., t. I, append., art, 34) ; dans la charte de fondation des monastères de Poultiers et de Vézelay, donnée par Gérard de Roussillon au IXe siècle (Hug. Pict., Courtépée), et dans beaucoup d’autres pièces, ces malédictions se présentent à peu près dans les mêmes termes, comme on le voit d’ailleurs par les Formules de Marculphe.