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XIVe et XVe siècles, n’auraient plus permis d’entreprendre des édifices d’une importance égale à nos grandes cathédrales, en admettant qu’elles n’eussent pas été toutes élevées avant ces époques désastreuses. Les édifices religieux complétement bâtis pendant le XIVe siècle sont rares, plus rares encore pendant le siècle suivant. On se contentait alors ou de terminer les églises inachevées, ou de modifier les dispositions primitives des églises des XIIe et XIIIe siècles, ou de les restaurer et de les agrandir. C’est à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe, alors que la France commence à ressaisir sa puissance, qu’un nouvel élan est donné à l’architecture religieuse, mais la tradition gothique, bien que corrompue, abâtardie, subsiste. Beaucoup de grandes cathédrales sont terminées, un grand nombre de petites églises, dévastées pendant les guerres, ou tombées de vétusté par suite d’un long abandon et de la misère publique, sont rebâties ou réparées. Mais bientôt la réformation vient arrêter ce mouvement, et la guerre, les incendies, les pillages, détruisent ou mutilent de nouveau la plupart des édifices religieux à peine restaurés. Cette fois le mal était sans remède, lorsqu’à la fin du XVIe siècle le calme se rétablit de nouveau, la renaissance avait effacé les dernières traces du vieil art national, et si, longtemps encore, dans la construction des édifices religieux, les dispositions des églises françaises du XIIIe siècle furent suivies, le génie qui avait présidé à leur construction était éteint, dédaigné. On voulait appliquer les formes de l’architecture romaine antique, que l’on connaissait mal, au système de construction des églises ogivales, que l’on méprisait sans les comprendre. C’est sous cette inspiration indécise que fut commencée et achevée la grande église de Saint-Eustache de Paris, monument mal conçu, mal construit, amas confus de débris empruntés de tous côtés, sans liaison et sans harmonie ; sorte de squelette gothique revêtu de haillons romains cousus ensemble comme les pièces d’un habit d’arlequin. Telle était la force vitale de l’architecture religieuse née avec la prédominance du pouvoir royal en France, que ses dispositions générales se conservent jusque pendant le siècle dernier ; les plans restent gothiques, les voûtes hautes continuent à être contre-butées par des arcs-boutants. Mais cette architecture bâtarde est frappée de stérilité. Les architectes semblent bien plus préoccupés de placer les ordres romains dans leurs monuments que de perfectionner le système de la construction, ou de chercher des combinaisons nouvelles ; l’exécution devient lourde, grossière et maniérée en même temps. Nous devons cependant rendre cette justice aux artistes du XVIIe siècle qu’ils savent conserver dans leurs édifices religieux une certaine grandeur, une sobriété de lignes et un instinct des proportions que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Europe à cette époque. Pendant qu’en Italie les architectes se livraient aux extravagances les plus étranges, aux débauches de goût les plus monstrueuses, on élevait en France des églises qui, relativement, sont des chefs-d’œuvre de style, bien qu’alors on se piquât de ne trouver la perfection que dans les monuments de la Rome antique ou moderne. Cette préférence pour les arts et les artistes étrangers