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d’ériger en cinquante années des cathédrales sur des plans d’une étendue à laquelle on n’était pas arrivé jusqu’alors, et d’une richesse, comme art, supérieure à tout ce que l’on avait vu. De même qu’au XIe siècle le grand développement pris par les établissements religieux avait influé sur toutes les constructions religieuses de cette époque ; de même, au commencement du XIIIe siècle, les grandes entreprises des évêques se reflétaient sur les édifices religieux de leurs diocèses. Au XIe siècle, les églises monastiques avaient servi de modèles aux églises collégiales, aux paroisses et même aux cathédrales ; au XIIIe siècle, ce sont à leur tour les cathédrales qui imposent les dispositions de leurs plans, leur système de construction et de décoration aux églises collégiales, paroissiales et monastiques. Le but de l’épiscopat se trouvait ainsi rempli, et son influence morale prédominait en même temps que l’influence matérielle des édifices qu’il s’était mis à construire avec tant d’ardeur, et au prix d’énormes sacrifices. Ces grands monuments sont donc pour nous respectables sous le point de vue de l’art, et comme l’une des productions les plus admirables du génie humain, mais aussi parce qu’ils rappellent un effort prodigieux de notre pays vers l’unité nationale. En effet, à la fin du XIIe siècle, l’entreprise de l’épiscopat était populaire. La puissance seigneuriale des abbés se trouvait attaquée par la prédominance de la cathédrale. La noblesse séculière, qui n’avait pas vu sans envie la richesse croissante des établissements monastiques, leur immense influence morale, aidait les évêques dans les efforts qu’ils faisaient pour soumettre les abbayes à leur juridiction. Les populations urbaines voyaient dans la cathédrale (non sans raisons) un monument national, comme une représentation matérielle de l’unité du pouvoir vers laquelle tendaient toutes leurs espérances. Les églises abbatiales étaient des édifices particuliers qui ne satisfaisaient que le sentiment religieux des peuples, tandis que la cathédrale était le sanctuaire de tous, c’était à la fois un édifice religieux et civil (voy. Cathédrale), où se tenaient de grandes assemblées, sorte de forum sacré qui devenait la garantie des libertés politiques en même temps qu’un lieu de prières. C’était enfin le monument par excellence. Il n’est donc pas étonnant que les évêques aient pu réunir tout à coup dans ces temps d’émancipation politique et intellectuelle, les ressources énormes qui leur permettaient de rebâtir leurs cathédrales sur tous les points du domaine royal. En dehors du domaine royal, la cathédrale se développe plus lentement, elle le cède longtemps et jusqu’à la fin du XIIIe siècle aux églises abbatiales. Ce n’est qu’à l’aide de la prépondérance du pouvoir monarchique sur ces provinces, que l’épiscopat élève les grands monuments religieux sur les modèles de ceux du nord. Telles sont les cathédrales de Bordeaux, de Limoges, de Clermont-Ferrand, de Narbonne, de Béziers, de Rodez, de Mende, de Bayonne, de Carcassonne, et ces édifices sont de véritables exceptions, des monuments exotiques, ne se rattachant pas aux constructions indigènes de ces contrées.

Le midi de la France avait été livré à l’hérésie des Albigeois pendant