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les laissait faire, et qu’à un jour donné rois et peuple, profitant de cet entraînement imprudent, viendraient leur arracher les derniers vestiges de leur puissance.

L’étude des lettres et des arts qui jusqu’alors avaient été exclusivement cultivés par le clergé et le tiers état, pénétrait dans la classe aristocratique et jetait ainsi un nouvel élément de fusion entre les différents ordres du pays. Malgré le désordre administratif, les fautes et les malheurs qui signalent le commencement du XVIe siècle en France, le pays était en voie de prospérité, le commerce, l’industrie, les sciences et les arts prenaient un développement immense ; il semblait que la France eût des trésors inconnus qui comblaient toutes les brèches faites à son crédit par des revers cruels et des dilapidations scandaleuses. Les villes crevaient leurs vieilles enceintes de tous côtés pour s’étendre ; on reconstruisait sur des plans plus vastes les hôtels de ville, les marchés, les hospices ; on jetait des ponts sur les rivières ; on perçait de nouvelles routes ; l’agriculture, qui jusqu’alors avait été un des plus puissants moyens d’influence employés par les établissements religieux, commençait à être étudiée et pratiquée par quelques grands propriétaires appartenant au tiers état ; elle devint « l’objet de dispositions législatives dont quelques-unes sont encore en vigueur[1]. » L’État établissait une police sur les eaux et forêts, sur l’exploitation des mines. Ce grand mouvement effaçait peu à peu l’éclat jeté par les monastères dans les siècles précédents. Des abbayes étaient sécularisées, leur influence morale se perdait, et beaucoup d’entre elles tombaient en des mains laïques. La France était remplie d’églises élevées pendant les trois derniers siècles, lesquelles suffisaient, et au delà, aux besoins du culte, et la réforme diminuait le nombre des fidèles. Rome, et tout le clergé catholique n’avaient pas, dès le commencement du XVIe siècle, compris toute l’importance des doctrines prêchées par les novateurs. L’Église qui se croyait, après de si glorieux combats, définitivement affermie sur sa base divine, n’avait pas pris les armes assez tôt ; elle allait au concile de Trente arrêter les progrès de l’incendie, mais il était déjà bien tard, et il fallut faire la part du feu. Une réforme était devenue nécessaire dans son sein, et l’Église l’avait elle-même solennellement reconnu au concile de Latran ; elle fut débordée par cette prodigieuse activité intellectuelle du XVIe siècle, par les nouvelles tendances politiques des populations d’Allemagne et de France ; elle fut trahie par son ancienne ennemie, la féodalité, et la féodalité fut à son tour emportée par la tempête qu’elle avait soulevée contre l’Église. L’esprit original, natif, individuel des peuples s’épuisa dans ces luttes terribles qui chez nous désolèrent la seconde moitié du XVIe siècle, et la royauté seule s’établit puissante sur ces ruines. Louis XIV clôt la Renaissance. Les arts, comme toujours, furent associés à ces grands mouvements

  1. Essai sur l’histoire du tiers état, par M. A. Thierry, t. I, p. 116 ; édit. Furne, 1853 ; Recueil des anc. lois franç. par M. Isambert., t. XI et XII ; édit. de Villers-Cotterets, août 1539.