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villes traversées par ces conquérants d’un jour. On ne rêva plus dès lors que palais, jardins ornés de statues, fontaines de marbre, portiques et colonnes. Les arts de l’Italie devinrent la passion du moment. L’architecture gothique épuisée, à bout de moyens pour produire des effets surprenants, s’empara de ces nouveaux éléments, on la vit bientôt mêler à ses décorations des réminiscences des arts italiens. Mais on ne change pas un art, non plus qu’une langue, du jour au lendemain. Les artistes florentins ou milanais qu’avait pu amener Charles VIII avec lui étaient singulièrement dépaysés au milieu de cette France encore toute gothique, leur influence ne pouvait avoir une action directe sur des corporations de gens de métiers habitués à reproduire les formes traditionnelles de leur pays. Ces corps de métiers, devenus puissants, possédaient toutes les branches des arts et n’étaient pas disposés à se laisser dominer par des étrangers, fort bien venus à la cour, mais fort mal vus par la classe moyenne. La plupart de ces artistes intrus se dégoûtaient bientôt, ne trouvant que des ouvriers qui ne les comprenaient pas ou ne voulaient pas les comprendre. Comme il arrive toujours d’ailleurs, les hommes qui avaient pu se résoudre à quitter l’Italie pour suivre Charles VIII en France n’étaient pas la crème des artistes italiens, mais bien plutôt ces médiocrités qui, ne pouvant se faire jour dans leur patrie, n’hésitent pas à risquer fortune ailleurs. Attirés par de belles promesses des grands, ils se trouvaient le lendemain, quand il fallait en venir à l’exécution, en face de gens de métiers, habiles, pleins de leur savoir, railleurs, rusés, indociles, maladroits par système, opposant à la faconde italienne une force d’inertie décourageante, ne répondant aux ordres que par ce hochement de tête gaulois qui fait présager des difficultés sans nombre là où il aurait fallu trouver un terrain aplani. La cour, entraînée par la mode nouvelle, ne pouvant être initiée à toutes les difficultés matérielles du métier, n’ayant pas la moindre idée des connaissances pratiques, si étendues alors, des constructeurs français, en jetant quelques malheureux artistes italiens imbus des nouvelles formes adoptées par l’Italie (mais probablement très-pauvres traceurs ou appareilleurs) au milieu de ces tailleurs de pierre, charpentiers, rompus à toutes les difficultés du tracé géométrique, ayant une parfaite connaissance des sections de plans les plus compliquées, et se jouant chaque jour avec ces difficultés ; la cour, disons-nous, malgré tout son bon vouloir ou toute sa puissance, ne pouvait faire que ses protégés étrangers ne fussent bientôt pris pour des ignorants ou des impertinents. Aussi ces tentatives d’introduction des arts italiens en France à la fin du XVe siècle n’eurent-elles qu’un médiocre résultat. L’architecture indigène prenait bien par-ci par-là quelques bribes à la renaissance italienne, mettait une arabesque, un chapiteau, un fleuron, un mascaron imité sur les imitations de l’antiquité à la place de ses feuillages, de ses corbeilles, de ses choux et de ses chardons gothiques ; mais elle conservait sa construction, son procédé de tracé, ses dispositions d’ensemble et de détail.

Les arts qui se développent à la fin du XIIe siècle sont sortis du sein de