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ardeur, pendant ce XIIe siècle, que l’architecture abandonne les derniers restes de la tradition antique pour fonder un art nouveau dont le principe est en opposition manifeste avec le principe des arts de l’antiquité. Faut-il conclure de là que les hommes du XIIe siècle n’étaient pas conséquents avec eux-mêmes ? Tout au contraire ; mais ce qui distingue la renaissance du XIIe siècle de la renaissance du XVIe, c’est que la première se pénétrait de l’esprit antique, tandis que la seconde se laissait séduire par la forme. Les dialecticiens du XIIe siècle, en étudiant les auteurs païens, les Pères et les Écritures, voyaient les choses et les hommes de leur temps avec les yeux de leur temps, comme l’eût pu faire Aristote, s’il eût vécu au XIIe siècle, et la forme que l’on donnait alors aux choses d’art était déduite des besoins ou des idées du moment. Prenons un exemple bien frappant, fondamental en architecture, l’échelle. Tout le monde sait que les ordres de l’architecture des Grecs et des Romains pouvaient être considérés comme des unités typiques que l’on employait dans les édifices en augmentant ou diminuant leurs dimensions et conservant leurs proportions, selon que ces édifices étaient plus ou moins grands d’échelle. Ainsi le Parthénon et le temple de Thésée à Athènes sont d’une dimension fort différente, et l’ordre dorique appliqué à ces deux monuments est à peu près identique comme proportion ; pour nous faire mieux comprendre, nous dirons que l’ordre dorique du Parthénon est l’ordre dorique du temple de Thesée vu à travers un verre grossissant. Rien dans les ordres antiques, grecs ou romains, ne rappelle une échelle unique, et cependant il y a pour les monuments une échelle invariable, impérieuse dirons-nous, c’est l’homme. La dimension de l’homme ne change pas, que le monument soit grand ou petit. Aussi, donnez le dessin géométral d’un temple antique en négligeant de coter les dimensions ou de tracer une échelle, il sera impossible de dire si les colonnes de ce temple ont quatre, cinq ou dix mètres de hauteur, tandis que pour l’architecture dite gothique il n’en est pas ainsi, l’échelle humaine se retrouve partout indépendamment de la dimension des édifices. Entrez dans la cathédrale de Reims ou dans une église de village de la même époque, vous retrouverez les mêmes hauteurs, les mêmes profils de bases ; les colonnes s’allongent ou se raccourcissent, mais elles conservent le même diamètre, les moulures se multiplient dans un grand édifice, mais elles sont de la même dimension que celles du petit ; les balustrades, les appuis, les socles, les bancs, les galeries, les frises, les bas-reliefs, tous les détails de l’architecture qui entrent dans l’ordonnance des édifices, rappellent toujours l’échelle type, la dimension de l’homme. L’homme apparaît dans tout ; le monument est fait pour lui et par lui, c’est son vêtement, et quelque vaste et riche qu’il soit, il est toujours à sa taille. Aussi les monuments du moyen âge paraissent-ils plus grands qu’ils ne le sont réellement, parce que, même en l’absence de l’homme, l’échelle humaine est rappelée partout, parce que l’œil est continuellement forcé de comparer les dimensions de l’ensemble avec le module humain. L’impression contraire est produite par les monuments antiques, on ne se rend