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gieuse, monastique ou civile, appelait à son aide toutes les ressources de la sculpture et de la peinture, et les établissements fondés par saint Bernard restaient comme des témoins isolés de la protestation d’un seul homme contre les goûts de la nation.

Dans l’organisation des corporations laïques de métiers, les communes ne faisaient que suivre l’exemple donné par les établissements religieux. Les grandes abbayes, et même les prieurés, avaient depuis le VIIIe siècle établi autour de leurs cloîtres et dans l’enceinte de leurs domaines des ateliers de corroyeurs, de charpentiers, menuisiers, ferronniers, cimenteurs, d’orfèvres, de sculpteurs, de peintres, de copistes, etc. (voy. Architecture Monastique). Ces ateliers, quoiqu’ils fussent composés indistinctement de clercs et de laïques, étaient soumis à une discipline, et le travail était méthodique ; c’était par l’apprentissage que se perpétuait l’enseignement ; chaque établissement religieux représentait ainsi en petit un véritable État, renfermant dans son sein tous ses moyens d’existence, ses chefs, ses propriétaires cultivateurs, son industrie, et ne dépendant par le fait que de son propre gouvernement, sous la suprématie du souverain pontife. Cet exemple profitait aux communes qui avaient soif d’ordre et d’indépendance en même temps. En changeant de centre, les arts et les métiers ne changèrent pas brusquement de direction ; et si des ateliers se formaient en dehors de l’enceinte des monastères, ils étaient organisés d’après les mêmes principes, l’esprit séculier seulement y apportait un nouvel élément, très-actif, il est vrai, mais procédant de la même manière, par l’association, et une sorte de solidarité.

Parallèlement au grand mouvement d’affranchissement des villes, une révolution se préparait au sein de la féodalité séculière. En se précipitant en Orient, à la conquête des lieux saints, elle obéissait à deux sentiments, le sentiment religieux d’abord, et le besoin de la nouveauté, de se dérober aux luttes locales incessantes, à la suzeraineté des seigneurs puissants, peut-être aussi à la monotonie d’une vie isolée, difficile, besoigneuse même ; la plupart des possesseurs de fiefs laissaient ainsi derrière eux des nuées de créanciers, engageant leurs biens pour partir en terre sainte, et comptant sur l’imprévu pour les sortir des difficultés de toute nature qui s’accumulaient autour d’eux. Il n’est pas besoin de dire que les rois, le clergé et le peuple des villes trouvaient dans ces émigrations en masse de la classe noble, des avantages certains ; les rois pouvaient ainsi étendre plus facilement leur pouvoir, les établissements religieux et les évêques débarrassés, temporairement du moins, de voisins turbulents, ou les voyant revenir dépouillés de tout, augmentaient les biens de l’Église, pouvaient songer avec plus de sécurité à les améliorer, à les faire valoir ; le peuple des villes et des bourgs se faisait octroyer des chartes à prix d’argent en fournissant aux seigneurs les sommes nécessaires à ces expéditions lointaines, à leur rachat s’ils étaient prisonniers, ou à leur entretien s’ils revenaient ruinés, ce qui arrivait fréquemment. Ces transactions faites de gré ou de force avaient pour résultat d’affaiblir de jour en jour les distinctions de race