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promettant de reconnaître la commune, y entrant même, en jurant fidélité aux bourgeois.

Les habitants de Vézelay ne sont pas plutôt affranchis et constitués en commune qu’ils se fortifient. « Ils élevèrent autour de leurs maisons, chacun selon sa richesse, des murailles crénelées, ce qui était la marque et la garantie de la liberté. L’un des plus considérables parmi eux, nommé Simon, jeta les fondements d’une grosse tour carrée[1]… » Peu d’années avant ou après cette époque, le Mans, Cambrai, Saint-Quentin, Laon, Amiens, Beauvais, Soissons, Orléans, Sens, Reims s’étaient constitués en communes, les uns à main armée et violemment, les autres en profitant des querelles survenues entre les seigneurs et évêques qui, chacun de leur côté, étaient en possession de droits féodaux sur ces villes. Le caractère de la population indigène gallo-romaine, longtemps comprimé, surgissait tout à coup ; les populations ne renversaient pas comme de nos jours, avec ensemble, ce qui gênait leur liberté, mais elles faisaient des efforts partiels, isolés, manifestant ainsi leur esprit d’indépendance avec d’autant plus d’énergie qu’elles étaient abandonnées à elles-mêmes. Cette époque de l’affranchissement des communes marque une place importante dans l’histoire de l’architecture. C’était un coup porté à l’influence féodale séculière ou religieuse (voy. Architecte). De ce moment les grands centres religieux cessent de posséder exclusivement le domaine des arts. Saint Bernard devait lui-même contribuer à hâter l’accomplissement de cette révolution : abbé de Clairvaux, il appartenait à la règle austère de Cîteaux ; plusieurs fois en chaire, et notamment dans cette église de Vézelay, qui dépendait de Cluny, il s’était élevé avec la passion d’une conviction ardente contre le luxe que l’on déployait dans les églises, contre ces « figures bizarres et monstrueuses » qui, à ses yeux, n’avaient rien de chrétien, et que l’on prodiguait sur les chapiteaux, sur les frises, et jusque dans le sanctuaire du Seigneur. Les monastères qui s’érigeaient sous son inspiration, empreints d’une sévérité de style peu commune alors, dépouillés d’ornements et de bas-reliefs, contrastaient avec l’excessive richesse des abbayes soumises à la règle de Cluny. L’influence de ces constructions austères, desséchait tout ce qui s’élevait autour d’elles (voy. Architecture Monastique). Cette déviation de l’architecture religieuse apporta pendant le cours du XIIe siècle une sorte d’indécision dans l’art qui ralentit et comprima l’élan des écoles monastiques. Le génie des populations gallo-romaines était contraire à la réforme que saint Bernard voulait établir ; aussi n’en tint-il compte ; et cette réforme qui arrêta un instant l’essor donné à l’architecture au milieu des grands établissements religieux, ne fit que lui ouvrir le chemin dans une voie nouvelle, et qui allait appartenir dorénavant aux corporations laïques. Dès la fin du XIIe siècle l’architecture reli-

  1. Lettres sur l’Hist. de France, par Aug. Thierry. Paris, 1842, p, 412. — Hug. Pietav. Hist. Vezeliac. monast., lib. III, apud d’Achery, Spicilegium, t. II, p. 533 et 535.