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voulaient établir l’unité spirituelle, et réformer les abus qui s’étaient introduits dans le clergé ; les populations des villes profitaient des lumières et des idées d’indépendance morale répandues autour des grands monastères, éprouvaient le besoin d’une autorité publique et d’une administration intérieure, à l’imitation de l’autorité unique du Saint-Siège, et de l’organisation intérieure des couvents ; elles allaient réclamer leur part de garantie contre le pouvoir personnel de la féodalité séculière et du haut clergé.

Ces deux mouvements sont distincts cependant, et s’ils marchent parallèlement, ils sont complètement indépendants l’un de l’autre. Les clercs qui enseignaient alors en chaire au milieu d’une jeunesse avide d’apprendre ce que l’on appelait alors la physique et la théologie, étaient les premiers à qualifier d’exécrables les tentatives de liberté des villes. De même que les bourgeois qui réclamaient, et obtenaient au besoin par la force, des franchises destinées à protéger la liberté du commerce et de l’industrie, poursuivaient à coups de pierre les disciples d’Abailard. Telle est cette époque d’enfantement, de contradictions étranges, où toutes les classes de la société semblaient concourir par des voies mystérieuses à l’unité, s’accusant réciproquement d’erreurs sans s’apercevoir qu’elles marchaient vers le même but.

Parmi les abbayes qui avaient été placées sous la dépendance de Cluny, et qui possédaient les mêmes privilèges, était l’abbaye de Vézelay. Vers 1119, les comtes de Nevers prétendirent avoir des droits de suzeraineté sur la ville dépendant du monastère. « Ils ne pouvaient voir sans envie les grands profits que l’abbé de Vézelay tirait de l’affluence des étrangers de tout rang et de tout état, ainsi que des foires qui se tenaient dans le bourg, particulièrement à la fête de sainte Marie-Madeleine. Cette foire attirait, durant plusieurs jours, un concours nombreux de marchands, venus soit du royaume de France soit des communes du Midi, et donnait à un bourg de quelques milliers d’âmes une importance presque égale à celle des grandes villes du temps. Tout serfs qu’ils étaient de l’abbaye de Sainte-Marie, les habitants de Vézelay avaient graduellement acquis la propriété de plusieurs domaines situés dans le voisinage ; et leur servitude diminuant par le cours naturel des choses, s’était peu à peu réduite au payement des tailles et des aides, et à l’obligation de porter leur pain, leur blé et leur vendange, au four, au moulin et au pressoir publics, tenus ou affermés par l’abbaye. Une longue querelle, souvent apaisée, par l’intervention des papes, mais toujours renouvelée sous différents prétextes, s’éleva ainsi entre les comtes de Nevers et les abbés de Sainte-Marie de Vézelay… Le comte Guillaume, plusieurs fois sommé par l’autorité pontificale de renoncer à ses prétentions, les fit valoir avec plus d’acharnement que jamais, et légua en mourant à son fils, du même nom que lui, toute son inimitié contre l’abbaye[1]. » Le comte, au retour de la croisade, recommença la lutte par une alliance avec les habitants, leur

  1. Lettres sur l’Histoire de France, par Aug. Thierry. Paris, 1842, p. 401 et 402.