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une nouvelle ère pour les arts comme pour la politique. Nous l’avons dit plus haut, les lettres, les sciences et les arts s’étaient renfermés dans l’enceinte des cloîtres depuis le règne de Charlemagne. Au XIe siècle, le régime féodal était organisé autant qu’il pouvait l’être, le territoire morcelé en seigneuries, vassales les unes des autres jusqu’au suzerain, présentait l’aspect d’une arène où chacun venait défendre ses droits attaqués, ou en conquérir de nouveaux les armes à la main. L’organisation écrite du système féodal était peut-être la seule qui pût convenir dans ces temps si voisins encore de la barbarie, mais en réalité l’application répondait peu au principe. C’était une guerre civile permanente, une suite non interrompue d’oppressions et de vengeances de seigneurs à seigneurs, de révoltes contre les droits du suzerain. Au milieu de ce conflit perpétuel qu’on se figure l’état de la population des campagnes ! L’institut monastique, épuisé ou découragé, dans ces temps où nul ne semblait avoir la connaissance du juste et de l’injuste, où les passions les plus brutales étaient les seules lois écoutées, était lui-même dans la plus déplorable situation, les monastères pillés et brûlés par les Normands, rançonnés par les seigneurs séculiers, possédés par des abbés laïques, étaient la plupart dépeuplés, la vie régulière singulièrement relâchée. On voyait dans les monastères, au milieu des moines, des chanoines et des religieuses même, des abbés laïques qui vivaient installés là avec leurs femmes et leurs enfants, leurs gens d’armes et leurs meutes[1]. Cependant quelques établissements religieux conservaient encore les traditions de la vie bénédictine. Au commencement du XIe siècle, non-seulement les droits féodaux étaient exercés par des seigneurs laïques, mais aussi par des évêques et des abbés ; en perdant ainsi son caractère de pouvoir purement spirituel, une partie du haut clergé autorisait l’influence que la féodalité séculière prétendait exercer sur les élections de ces évêques et abbés, puisque ceux-ci devenaient des vassaux soumis dès lors au régime féodal ; ainsi commence une lutte dans laquelle les deux principes, spirituel et temporel, se trouvent en présence, il s’agit ou de la liberté ou du vasselage de l’Église, et l’Église, il faut le dire, entame la lutte par une réforme dans son propre sein.

En 909 Guillaume, duc d’Aquitaine, avait fondé l’abbaye de Cluny, et c’est aux saints apôtres Pierre et Paul qu’il donnait tous les biens qui accompagnaient sa fondation[2]. Une bulle de Jean XI (mars 932) confirme la charte de Guillaume, et « affranchit le monastère de toute dépendance de quelque roi, évêque ou comte que ce soit, et des proches même de Guillaume[3]… »

Il ne faut point juger cette intervention des pontifes romains avec nos idées modernes. Il faut songer qu’au milieu de cette anarchie générale, de

  1. Mab., Ann. Ben., t. III, p. 330.
  2. Bibl. Clun., col. 1, 2, 3, 4. — Cluny au XIe siècle, par l’abbé F. Cucherat, 1851 1 vol. Lyon. Paris.
  3. Bull. Clun., p. 1, 2, 3. — Ibid.