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(la journée d’une femme était alors d’un denier). » Voici donc un conseil d’administration qui probablement est chargé de la gestion des fonds, puis un architecte étranger, appelé, non pour suivre l’exécution chaque jour, et surveiller les ouvriers, mais seulement pour rédiger les projets, donner les détails, et veiller de loin en loin à ce que l’on s’y conforme ; pour son travail d’artiste on lui assure, non des honoraires proportionnels, mais un traitement qui équivaut, par trimestre, à une somme de quinze cents francs de nos jours. Il est probable qu’alors le mode d’appointements fixe était en usage lorsqu’on employait un architecte.

À côté de tous nos grands édifices religieux, il existait toujours une maison dite de l’œuvre, dans laquelle logeaient l’architecte et les maîtres ouvriers qui, de père en fils, étaient chargés de la continuation des ouvrages. L’œuvre de Notre-Dame à Strasbourg a conservé cette tradition jusqu’à nos jours, et l’on peut voir encore dans une des salles de la maîtrise, une partie des dessins sur vélin qui ont servi à l’exécution du portail de la cathédrale, de la tour, de la flèche, du porche nord, de la chaire, du buffet d’orgues, etc. Il est de ces dessins qui remontent aux dernières années du XIIIe siècle, quelques-uns sont des projets qui n’ont pas été exécutés, tandis que d’autres sont évidemment des détails préparés pour tracer les épures en grand sur l’aire. Parmi ceux-ci on remarque les plans des différents étages de la tour et de la flèche superposés. Ces dessins datent du XIVe siècle, et il faut dire qu’ils sont exécutés avec une connaissance du trait, avec une précision et une entente des projections, qui donnent une haute idée de la science de l’architecte qui les a tracés (voy. Épure, Trait).

Pendant le XVe siècle cette place élevée qu’occupaient les architectes des XIIIe et XIVe siècles, s’abaisse peu à peu ; aussi les constructions perdent-elles ce grand caractère d’unité qu’elles avaient conservé pendant les belles époques. On s’aperçoit que chaque corps de métier travaille de son côté en dehors d’une direction générale. Ce fait est frappant dans les actes nombreux qui nous restent de la fin du XVe siècle ; les évêques, les chapitres, les seigneurs, lorsqu’ils veulent faire bâtir, appellent des maîtres maçons, charpentiers, sculpteurs, tailleurs d’images, serruriers, plombiers, etc., et chacun fait son devis et son marché de son côté ; de l’architecte, il n’en est pas question, chaque corps d’état exécute son propre projet. Aussi les monuments de cette époque présentent-ils des défauts de proportion, d’harmonie, qui ont avec raison fait repousser ces amas confus de constructions par les architectes de la renaissance. On comprend parfaitement que des hommes de sens et d’ordre comme Philibert Delorme par exemple, qui pratiquait son art avec dignité, et ne concevait pas que l’on pût élever, même une bicoque, sans l’unité de direction, devaient regarder comme barbare la méthode employée à la fin de la période gothique, lorsqu’on voulait élever un édifice. Nous avons entre les mains quelques devis dressés à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe où cet esprit d’anarchie se rencontre à chaque ligne. Le chapitre de Reims, après l’incendie