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donc les moyens. Ne serez-vous pas plus heureuse de la voir bien tenir et diriger sa maison, nous y recevoir gaiement, que de la trouver sans cesse ici, sur vos pas, désœuvrée ; juge tacite et respectueux si vous voulez, mais juge de vos façons d’être et de faire ? Croyez-vous que son mari aura autant de plaisir à venir la retrouver ici dans les moments qu’il pourra dérober aux affaires, qu’il en éprouvera en la voyant chez elle, toute heureuse de lui montrer ce qu’elle aura pu faire pendant ses absences ; toute occupée de rendre chaque jour plus agréable, plus commode, le logis commun ? Ne voyez-vous pas, en y pensant un peu, que les jeunes femmes de ce temps, qui ont donné, quoique bien nées, les plus tristes exemples, sont celles, le plus souvent, dont les premières années de mariage se sont passées ainsi, sans foyer propre, menant cette existence qui n’est ni celle de la jeune fille ni celle de la maîtresse de maison, responsable,… ménagère, pour appeler les choses par leur vrai nom ? »

Quelques larmes avaient mouillé la broderie de Mme  de Gandelau. « Vous avez encore raison, mon ami, dit-elle en tendant la main à son mari ; ce que vous ferez sera bien fait. »

M. Paul, tout en feuilletant un journal illustré, n’avait pas perdu un mot de cette conversation. L’idée de voir élever une maison, pour sa sœur aînée, lui souriait fort. Et déjà, dans sa jeune imagination, en face du vieux manoir paternel, cette maison future lui apparaissait comme un palais des fées, toute coquette et parée, pleine de lumière et de gaieté.

Il faut dire que l’habitation de M. de Gandelau n’avait rien qui pût charmer les yeux. Agrandie successivement, deux longues ailes assez maussades d’aspect se soudaient gauchement à un corps de logis principal, autrefois château, dont deux tours démantelées et couronnées par des toits