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but, et y marcher vite, sans regarder à droite ni à gauche, aller, aller, suivre sa tâche, recommencer toujours, et une fois usée être vendue au déchireur ; à moins que durant sa course, un coup de feu ne la fasse sauter, ou qu’un caillou ne l’envoie se précipiter hors du rail. Il faut autre chose à l’homme ; il faut occuper son esprit, il faut que quelque chose parle à son cœur, réponde à sa pensée. Elles sont rares en tous les temps, je le sais, mais il en existe, de ces âmes privilégiées, ou réprouvées, comme on voudra, qui se laissent transporter par leur imagination, soit dans des régions non existantes, soit à des sentiments exaltés, soit à des spéculations inutiles, ignorées du reste des hommes. Ceux mêmes pour qui la peinture fantastique de ces régions, de ces sentiments, de ces rêveries enfin, n’est pas sans charmes, ne sont pas nombreux ; il faut encore qu’une étude longuement goûtée leur ait appris, non pas à créer, mais à comprendre ces fantaisies sublimes et sans but.

Nous retrouvons, même chez les Gaulois, cette tendance à la poésie, à un certain degré, c’est-à-dire cette faculté d’invention d’une chose en dehors de ce qui existe, de ce qui frappe nos yeux. Ils se sont bien rarement élevés au sublime, mais enfin ils arrangent, ils embellissent à leur manière les événements dont ils ont ouï parler ; ils prêtent à leurs personnages des actions, des pensées, des passions imaginaires ; ils personnifient les qualités et les défauts ; ils créent des êtres fantastiques, des dragons, des géants, des fées ; ils décrivent des pays, des palais merveilleux, sans analogues au monde ; ils exaltent le courage et la beauté ; ils récompensent la vertu et flétrissent le vice. Toutes ces choses, que n’enseigne point l’observation de la vie réelle,